Chaque année, au mois de ramadan, c’est la même ritournelle : on oblige les non-jeûneurs à raser les murs sous prétexte que leur bouteille d’eau et le café ouvert qu’ils fréquentent avant la rupture du jeûne pourraient causer des troubles à l’ordre public.
Par Mohamed Sadok Lejri *
D’aucuns sont irrités de voir les non-jeûneurs («fattaras») revenir à la charge chaque année en proclamant haut et fort leur refus de se laisser écraser par ce «fait social total» qu’est le mois de ramadan. Refusant désormais de se cantonner à la sphère privée, les non-jeûneurs font l’objet de critiques acerbes depuis quelques années de la part de détracteurs qui tentent de décrédibiliser leurs revendications en les traitant de râleurs et de provocateurs qui éprouvent un plaisir sadique à heurter les musulmans jeûneurs dans leurs croyances et convictions.
Opprobre social, menaces et discours enflammés de courroux
Les non-jeûneurs réclament la visibilité publique et le droit de ne pas jeûner en public, et ce, sans subir l’opprobre social, les menaces et les discours enflammés de courroux. Pour que cessent les revendications des «fattaras» et pour mettre une fois pour toutes un terme à leurs «râleries» («t’kharnyn») , la répression de l’inobservation du jeûne et l’intimidation qui se pratique de façon sournoise durant le mois de ramadan doivent également cesser.
Le jour où les «fattaras» pourront boire dans la rue quand ils ont soif et manger quand ils ont faim sans se faire tancer par n’importe quel moralisateur minable, à l’haleine fétide et qui veut se faire passer pour un bon musulman, il y aura moins de «t’kharnyn» de la part des non-jeûneurs.
Car chaque année, c’est la même ritournelle. Bis repetita, on prend les mêmes et on recommence : on oblige les non-jeûneurs à raser les murs sous prétexte que leur bouteille d’eau et le café ouvert qu’ils fréquentent avant la rupture du jeûne pourraient causer des troubles à l’ordre public.
Quand les «fattaras» pourront-ils vivre normalement durant le mois de ramadan ?
Le jour où les «fattaras» pourront vivre normalement durant le mois de ramadan sans avoir à se cloîtrer comme des pestiférés dans des lieux fermés qui foutraient des cauchemars à n’importe quel claustrophobe pour prendre un café, sans avoir à se claquemurer dans des espaces sordides et lugubres où l’air est empesté de fumée, où l’on étouffe et où les vitres sont enlaidies et tapissées de papiers journaux comme si les personnes qui s’y trouvaient étaient en train de violer des bébés et d’éventrer des femmes enceintes, il y aura moins de «t’kharnyn».
Je vais vous expliquer – le ton arrogant que j’emprunte est tout à fait délibéré – pourquoi les musulmans se sentent dérangés par ceux qui mangent en public durant le mois de ramadan…
Non, ce n’est pas parce que le spectacle de celui qui mange aiguise leur faim et augmente leur frustration. Non, il n’en est rien de tout cela puisque le but du jeûne musulman, c’est précisément, du moins en théorie et en partie, de ressentir ce que ressent une personne privée de nourriture.
L’origine de la colère et de la haine envers les non-jeûneurs
En fait, ce qui les dérange, c’est de voir en face d’eux des gens qui n’adhèrent pas à des croyances qu’ils considèrent comme évidentes. Voir que tout le monde s’abstient de manger les rassure et les encourage à rester inébranlables dans leurs convictions religieuses. Constater que des gens ne partagent pas leur foi ébranle leurs certitudes, les fait douter et les inquiète.
Ainsi, les fermetures, les interdictions, les menaces, les pressions et intimidations de toutes sortes deviennent tout à fait légitimes. Il faut couper court à toute tentative d’insoumission durant le mois de ramadan pour que d’autres ne s’en inspirent pas.
Telle est l’origine de la colère et de la haine envers les non-jeûneurs.
* Universitaire.
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