Le bilan énergétique en Tunisie est aujourd’hui fortement inquiétant, et compte tenu de l’importance du secteur, de son influence sur l’économie nationale et des délais considérables que demandent les projets liés à ce domaine afin de porter leurs fruits, le pays est dans l’urgence de trouver des solutions.
Par Cherif Ben Younès
C’est dans ce contexte que le parti Al Badil Ettounsi (Alternative tunisienne) a organisé, mercredi 16 mai 2019, à l’hôtel El Mechtel de Tunis, une conférence, suivie d’un débat, sur la situation actuelle du secteur de l’énergie en Tunisie et les recommandations qu’il suggère pour la redresser.
Dans une salle archi-comble, marquée par la présence de plusieurs personnalités politiques, dont le fondateur du parti et ancien chef du gouvernement provisoire, Mehdi Jomaa (janvier-décembre 2014), la conférence a été assurée par Kamel Bennaceur, ancien ministre de l’Industrie, de l’Energie et des Mines, sous le gouvernement de Jomaa.
La production du pétrole et du gaz naturel connaît un énorme déficit
Afin d’illustrer les difficultés que vit le secteur de l’énergie, M. Bennaceur a rappelé la régression qu’a connue la production du pétrole en Tunisie, qui est passé de 5 à 2 millions de tonnes par année entre 1990 et 2018. Une régression continuellement confrontée à une hausse de la demande, qui a atteint aujourd’hui les 5 millions de tonnes, marquant ainsi un déficit de 3 millions de tonnes.
L’ancien ministre a, par ailleurs, assuré qu’aucun des champs pétrolifères tunisiens (dont les principaux sont ceux d’El Borma et d’Ashtart) n’est à la hauteur de ceux qui existent dans les pays voisins, à l’instar du gisement d’Hassi Messaoud en Algérie. Avant d’ajouter qu’au rythme de déclin actuel, il n’y aura quasiment plus de production pétrolière en Tunisie en 10 ans.
Plusieurs raisons expliquent cette situation selon M. Bennaceur. Parmi lesquelles, il a notamment mis l’accent sur «le désintérêt et le désengagement» des principales compagnies pétrolières opérant en terre tunisienne, soulignant, à titre d’exemple, qu’en 2017, les investissements d’exploration ont chuté de 70% en une seule année, et qu’en 2015, il n’y a pas eu d’activité séismique, ce qui était une première en Tunisie depuis les années 60.
Kamel Bennaceur a, d’autre part, balayé les accusations – de voler l’État – à l’encontre des compagnies étrangères, expliquant cela par la part importante de la Tunisie dans le partage de la production du pétrole, selon les statistiques internationales: «La part tunisienne est comparable à celle de nations dont la production est 50 fois supérieur à celle de notre pays, à l’instar de la Libye et du Venezuela».
M. Bennaceur a, d’un autre côté, affirmé que l’autre élément important du secteur, à savoir le gaz naturel, est dans une situation sensiblement similaire, marquée par un énorme déséquilibre entre la production et la demande. «Le déficit du gaz naturel s’accentue considérablement, et atteint, lui aussi, aujourd’hui les 3 millions de tonnes par année», a-t-il déploré.
Le gouvernement de Chahed est pointé du doigt
L’ancien expert de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a, par ailleurs, remis en doute les accusations de malversation et de corruption dans le secteur énergétique en Tunisie, depuis 2012. «Malgré les campagnes d’accusation et les pseudo-procès, surtout à des fins médiatiques, il n’y a pas eu de condamnation judiciaire pour malversation», a-t-il souligné, regrattant la «décapitation» du ministère de l’Energie et des Mines, en août 2018, par l’actuel chef du gouvernement, Youssef Chahed. «M. Chahed a déclaré qu’il y avait un des plus grands cas de corruption en Tunisie (Halk El Menzel, ndlr) et de mauvaise gouvernance par les ministères précédents, en promettant de fournir les éléments justificatifs. On attend toujours!», a-t-il ajouté.
Kamel Bennaceur a, d’autre part, déploré le fait que l’État consacre une partie importante de son budget aux subventions énergétiques, au détriment du développement régional, ajoutant que ces subventions, réparties entre l’électricité, le gaz et les carburants, sont injustement déséquilibrées puisque ce sont l’industrie, le tourisme et les classes à plus haut niveau qui en bénéficient le plus, alors les couches sociales défavorisées n’en touchent quasiment rien.
Faibles recommandations
En guise de recommandations ayant pour but de redresser le secteur, M. Bennaceur a prôné un leadership fort et strict, un vision pour l’horizon 2050 accompagnée d’une continuité dans la mise en œuvre, une vaste participation de la société civile et des secteurs économiques et sociaux, la prise en compte des impératifs sociétaux (environnement, responsabilité sociale et équité), ainsi qu’une interaction avec les secteurs connexes, tels que l’industrie, le transport et l’hydraulique.
Vagues et manquant de tangibilité – surtout si on les compare à l’analyse assez détaillée de la situation faite par M. Bennaceur –, ces recommandations ont, plus que toute autre chose, donné l’impression qu’Al Badil Ettounsi n’a pas de solutions, à l’heure actuelle, pour remettre le secteur énergétique sur pied.
Khaled Kaddour : nécessité d’une vision stratégique à très long terme
Présent à la rencontre, Khaled Kaddour, ancien ministre de l’Energie, des Mines et des Energies renouvelables, sous le gouvernement de Chahed, a insisté sur la nécessité de mettre en place une vision stratégique à long terme pour le secteur, étant donné que la réalisation de projets énergétiques exige au minimum 5 ans.
M. Kaddour a affirmé, par ailleurs, que la croissance du secteur énergétique dépend principalement du développement technologique, des exportations, ainsi que des énergies renouvelables, pour lesquelles, il a notamment recommandé que l’État consacre les subventions destinées aujourd’hui aux hydrocarbures.
Nidhal Ouerfelli : la gouvernance doit subir des changements
De son côté, Nidhal Ouerfelli, ancien ministre chargé de la Coordination et des Affaires économiques, dans le gouvernement de Mehdi Jomaa, a considéré que le domaine de l’énergie, qui doit faire l’objet d’une «vision prospective à très long terme», est le cœur même de la croissance économique, ajoutant qu’il est situé au centre des tensions géo-politiques, notamment dans les pays voisins (Libye et Algérie), en ce qui concerne les fossiles, le pétrole et le gaz.
Évoquant la gouvernance du secteur, M. Ouerfelli a regretté l’absence d’un «directeur général de l’énergie», chargé de la question technique : «La Tunisie est le seul pays au monde qui n’a pas LE technicien du secteur de l’énergie. Comment se fait-il que le ministre en charge de ce domaine joue à la fois le rôle du politicien et du technicien?».
L’ancien ministre a également critiqué la non-existence d’un régulateur du secteur de l’énergie. «La Steg (Société tunisienne de l’électricité et du gaz, ndlr) ou le ministère de l’Energie sont à la fois juges et parties dans le secteur», a-t-il déploré.
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