Comment se répartit la liberté d’expression, à l’intérieur d’un régime nouvellement démocratique et qui la garantit, en théorie, à tous, comme le régime tunisien actuel? Les citoyens en profitent-ils de façon égale ?
Par Jamila Ben Mustapha *
On pourrait établir, à ce propos, une distinction entre, au moins et surtout, 2 catégories de Tunisiens, si l’on prend l’exemple de notre pays, à ce moment de notre histoire.
On a d’abord ceux qui exercent directement le pouvoir (présidents, ministres, responsables divers…) qui sont des personnalités publiques dont les paroles sont très surveillées et susceptibles d’être férocement critiquées par les médias et l’opinion publique.
On a ensuite, de l’autre côté, celui des différents médias, les observateurs et analystes vigilants composés de journalistes professionnels ou de membres de la société civile. Paradoxalement, ce sont ainsi les tout-puissants, ceux qui ont une part concrète et réelle du pouvoir, qui doivent respecter diverses contraintes et peser chacun de leurs mots, ayant les lumières des projecteurs braquées sur eux de façon permanente.
Par un principe de compensation, ceux qui profitent donc le plus de la liberté de parole, ce ne sont pas, bien entendu, les Tunisiens anonymes qui peuvent s’exprimer librement, seulement le temps d’une manifestation, la pratique régulière de la parole et de la réflexion publiques leur échappant, et qui représentent une autre catégorie de citoyens, la plus nombreuse, mais ceux qui manient la plume ou parlent, que ce soit dans les journaux, les télévisions ou même les réseaux sociaux qui intègrent et absorbent de plus en plus, d’ailleurs, une partie de cette masse anonyme, et où on trouve, sur le plan de la qualité, tous les niveaux d’expression, l’insulte qui massacre autant les personnes que la langue, comme la réflexion la plus élaborée.
C’est comme si les gens de pouvoir avaient la possibilité de l’action – du moins, en partie, surtout quand ils appartiennent à de petits pays dépendant des puissants de ce monde –, et certains journalistes réellement indépendants ainsi que des membres actifs de la société civile, celle de la parole – permise à l’intérieur de limites, elle aussi, chez nous comme dans les vieilles démocraties, chaque société ayant ses tabous : ‘‘Est-il permis de critiquer Israël ?’’ s’interrogeait, par exemple, Pascal Boniface ayant fait les frais de la censure, en donnant cette interrogation comme titre à l’un de ses livres, en 2003.
En un mot, ce sont ceux qui ne poursuivent aucun but opportuniste comme l’acquisition d’un avantage quelconque, matériel ou moral, qui peuvent manifester le plus d’insolence dans leurs textes oraux ou écrits publiés, le terme «insolence» étant pris dans son sens le plus noble, pour la bonne raison qu’ils n’ont, en s’exprimant, aucun intérêt personnel à défendre.
* Universitaire et écrivaine.
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