Hier, jeudi 22 août 2019, deux candidats à la présidence de la république issus de la même famille politique, Youssef Chahed et Abdelkrim Zbidi, sont intervenus à la télévision, provoquant un débat dans les réseaux sociaux : un président doit-il être un homme intègre ou un bon orateur ?
Par Ridha Kefi
Pourquoi cette question a-t-elle été posée ? Eh bien parce que les performances des deux candidats étaient aux antipodes l’une de l’autre, faisant apparaître des différences énormes entre les deux hommes, sur le fond comme sur la forme. Ce qui n’a pas manqué de creuser le fossé entre leurs partisans respectifs.
Le premier intervenant, le chef du gouvernement Youssef Chahed, qui donnait une allocution télévisée sur la chaîne publique Wataniya 1, jouant donc à domicile et en terrain conquis, a montré beaucoup d’assurance et de confiance en soi. Il était à l’aise et sa parole simple, fluide, directe et structurée. Il maîtrisait visiblement ses dossiers et défendaient avec clarté et précision son bilan, pourtant décrié par ses adversaires. Et, souvent, pour de bonnes raisons, même s’il a dû faire face à de grandes résistances pour mettre en route les réformes programmées.
Le second intervenant, le ministre de la Défense, Abdelkrim Zbidi, interviewé sur El Hiwar Ettounsi, par une Meriem Belcadhi plutôt complaisante, soucieuse de lui servir la soupe et d’éviter de le bousculer, jouait donc lui aussi à domicile et en terrain conquis.
On a gonflé inutilement le niveau des attentes de l’électorat
Le problème est que, malgré une longue préparation et toutes les précautions prises (interview enregistrée et diffusée en différé, avec de probables coupures), M. Zbidi s’est montré, pour sa part, très hésitant, balbutiant ses réponses presque sans conviction, comme on débite une leçon apprise, un peu paumé face au public, aux caméras et aux lumières du plateau. Il était mal à l’aise dans le costume, trop large pour ses épaules, qu’on a voulu lui faire porter à l’insu de son plein gré.
De ce point de vue, la campagne de marketing politique massif en sa faveur lancée sur les réseaux sociaux deux semaines avant le dépôt de sa candidature ne l’a pas du tout servi, au contraire, elle a gonflé inutilement le niveau des attentes de l’électorat. Et le retour de manivelle a été brutal…
Il ne fallait pas plus pour déclencher un vif débat opposant les partisans et les adversaires des deux hommes. La principale question qui a divisé les commentateurs est la suivante : a-t-on besoin d’un président «baloût» (beau parleur, hâbleur…), par allusion à Youssef Chahed, ou d’un président intègre et honnête, sans plus, même s’il s’avère un mauvais orateur, par allusion à Abdelkrim Zbidi ?
La portée démagogique de cette question saute aux yeux, car elle sous-entend, à tort, que tout bon orateur est forcément un manipulateur et un fourbe. Et qu’un homme présumé intègre fait forcément un bon président.
Un président droit dans ses bottes dans les moments difficile
D’abord, disons-le d’emblée, on a besoin d’un président qui soit à la fois intègre et bon orateur. C’est le minimum que l’on puisse exiger d’un locataire du Palais de Carthage, et il n’est pas question de passer à la trappe l’une de ces deux exigences minimales. L’intégrité morale seule ne fait pas un bon président, qui doit aussi être capable de parler au peuple et de mobiliser autour de ses grandes décisions, surtout dans les moments de crise où la nation fait face à un grand péril et retient son souffle.
Imaginez, dans un pareil moment – et nous en avons connu ces dernières années avec, notamment les assassinats de Lotfi Nagdh, Chokri Belaid et Mohamed Brahem, le sit-in du Bardo, les attentats terroristes du Bardo, de Sousse et de Tunis, l’attaque de la ville de Ben Guerdane par un groupe de Daêch, etc.)…, imaginez, dans de pareils moments, un président qui se cache pour ne pas avoir à s’adresser au peuple ou qui bégaye, montre de l’hésitation ou se confond en considérations oiseuses.
Un président se doit d’être non seulement un bon orateur, capable de tenir un discours clair, structuré et marquant l’esprit de son auditoire (cela est également valable pour ses rencontres avec ses homologues étrangers), mais il doit être aussi un grand tribun, en mesure de mobiliser les foules, d’inspirer la confiance et de susciter l’adhésion du peuple à ses grandes décisions, même celles qui sont forcément impopulaires, et que le futur président d’une Tunisie en crise, quel qu’il soit, sera contraint de prendre.
Alors, Chahed ou Zbidi ? Il est encore trop tôt pour répondre à une telle question. Il va falloir voir et entendre les autres candidats pour pouvoir enfin distinguer le bon grain de l’ivraie. Mais on peut dire, après avoir vu et entendu certains de ces candidats, que Youssef Chahed, Mohsen Marzouk, Mohamed Abbou et Elyes Fakhfakh ont déjà marqué des points précieux. Mais il va falloir qu’ils confirment, notamment lors des confrontations télévisées : la véritable épreuve de vérité que ne saurait remplacer (ou corriger) les campagnes sonnantes et trébuchantes dans les médias et sur les réseaux sociaux.
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