Dans cette élection présidentielle qui se profile à l’horizon, qui est le favori, qui est un simple outsider et qui n’est qu’un comparse ? Tout le monde a sa petite idée à ce sujet, à l’exception naturellement des candidats «zéros-virgule», en référence à leur score prévisible lors de ce scrutin.
Par Ezzeddine Kaboudi *
L’idée en Tunisie d’une communauté qui a des valeurs, des projets, des envies et qui les exprime devait, normalement après la révolution du printemps arabe, se concrétiser dans les faits tant sur les plans sociaux, économiques que politiques. Au lieu de cela, on a eu droit à un spectacle d’amateurs indigne d’une classe politique qui se respecte.
De nos jours, tout est permis, il n’y a quasiment plus de limites dans l’outrancier et le manque de respect. Il semble que les pitreries dont font preuve notre classe dirigeante soient devenues un sport national qui compte de très nombreux adeptes.
Une triste réalité qui s’avère peu glorieuse pour la très jeune démocratie tunisienne. Il suffit, pour cela, de voir le nombre et le profil de candidats qui postulent à la plus haute marche du palais de Carthage.
C’est un embarras pour les électeurs tunisiens qui se demandent pourquoi autant de candidatures aux présidentielles.
Aujourd’hui, en politique, tout est permis, même le burlesque
Les zéro-virgule (en référence au pourcentage d’appui prévisible dans les élections) ont-ils leurs places dans le scrutin ?
Certains affirment que ces candidats sont imbus d’eux-mêmes, opportunistes, nigauds, incapables d’assumer leur médiocrité et persuadés qu’ils sont les meilleurs du monde à force de «Mr le président» et de «Mme la présidente» par-ci et par-là que leur lance le carrousel de faux-cul qui leur colle aux bottes comme du goudron fondu.
Ils se voient déjà en haut de l’affiche parmi les grands.
Pour certains, ce sont les médias qui ont forgé au fil des années à coup de buzz et de provocation ce pic d’audience et de capital sympathie qui paraît sans égal pour certains candidats, mais cette notoriété risque de faire vite place aux embrouilles, car cette gloire est éphémère, et risque se réduire comme une peau de chagrin.
D’autres pensent qu’il n’y a plus rien à espérer, plus rien à attendre de la démocratie représentative. La Tunisie est devenue une sorte d’arène fermée où l’on s’affronte pour la quête du pouvoir. C’est la tarte à partager et l’on voit les opportunistes qui rôdent autour de la table. Tout est permis, même le burlesque.
Finalement, la course au pouvoir en démocratie représentative instaure la médiocrité et cultive la discorde. Elle opère une sélection qui met au-devant de la scène les individus les plus extravagants, les plus débrouillards et les plus médiocres. Inutile de citer des noms, tout le monde les connaît.
Enfin, il semble qu’une partie des candidats savent éperdument que leurs chances sont infimes et qu’ils ne remporteront jamais les élections, mais se présentent quand même dans l’espoir de monnayer plus tard leur stock de fidèles électeurs – s’il en existe – contre un poste au gouvernement et pourquoi pas le poste du chef de gouvernement.
Faut-il être expatrié pour devenir président de la république en Tunisie?
L’arbre de la liberté a fort souvent besoin d’être nourri avec le sang des patriotes, selon Thomas Jefferson. Mais lorsque l’on note que la plupart des candidats qui restent en lice sont binationaux et bénéficient de la double nationalité, on en doute fort. Ce qui a laissé dire avec sarcasme que ceux qui échoueront aux présidentielles tunisiennes auront, tout de même, une cession de rattrapage : ils n’ont qu’à se présenter en 2022 aux élections présidentielles françaises.
Il ne fait pas de doute que notre combat fondamental immédiat est contre cette espèce de déclin de la civilité politique. La démocratie est non seulement un combat social, mais aussi une conduite de politique morale et de civilité. Certes, il faut faire émerger la tolérance, l’ouverture à l’autre, mais surtout instaurer le respect de nos institutions politiques.
Cette envie de se défaire de la pression politico-politique, loin de tout calcul, de ne pas tenir en otage tout un peuple…, cette force est là, elle est humaine, et doit être ancrée dans l’âme de nos politiciens.
Il faut la pousser. Ne nous décourageons pas.
Alors quelles sont ces règles de bonne civilité politique ? Nous en voyons au moins cinq, à savoir:
- le respect des règles de conduite en matière d’information et de communication;
- le respect des règles de conduite en matière de relations entre les politiciens ;
- le respect des règles de conduite en matière de réconciliation en cas de conflits entre politiciens;
- le respect des règles des bonnes manières;
- le respect du principe fondamental du droit universel : l’égalité des êtres humains.
Voilà, la vraie démocratie !
Pourtant, chacun de ces hommes politiques prétend représenter la démocratie, l’authentique. Même les radicaux se réclament, eux aussi, d’une démocratie véridique, et accusent ceux qui ne les suivent pas d’avoir trahi leurs principes.
Ne manquons pas de voter
Dans cette élection, qui est le favori, qui est un simple outsider et qui n’est qu’un comparse ? Tout le monde a sa petite idée, tout le monde a son avis, tout le monde en parle, à l’exception naturellement des candidats «zéro-virgule» qui nagent dans le brouillard. Mais bientôt on mesurera les conséquences concrètes du choix qui sera effectué par le peuple tunisien et on vérifiera s’il était ou non celui de la raison et de la maturité conjuguées ou celui de la passion et de l’addiction.
Manifestement, la cuisante déroute va renvoyer bien de candidats à leur triste réalité quotidienne, sauf si le peuple encore une fois nous dément et opinait du contraire. À ce moment là, on doit se dire que le mal est irréversible à jamais inscrit dans notre histoire et il ne restera que les larmes pour pleurer, les regrets pour rêver et les remords pour se souvenir.
C’est pourquoi je vous dis : ne manquons pas de voter, notre pays en a besoin.
* Universitaire et auteur du livre «À la recherche de la structure cachée du Coran», édition Edilivre.
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