Dans un entretien accordé au journal français « La Croix », le juriste et universitaire Yadh Ben Achour a exprimé ses craintes quant à la difficulté de former une majorité parlementaire ou des coalitions stables, au vu de «l’émiettement de l’offre politique», exprimé dans les résultats préliminaires du premier tour de l’élection présidentielle, ainsi que son soutien à Kaïs Saïed, qui pourrait, selon lui, bien gérer cette situation.
Par Cherif Ben Younès
«Les élections législatives sont la grande inconnue. Le scrutin du 6 octobre sera le vrai moment de vérité. Devant l’émiettement de l’offre politique, nous courons le risque d’une impossible majorité et de la formation de coalitions instables», a déclaré l’ancien président de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique (Hiror).
Kaïs Saïed est, aujourd’hui, l’homme de la situation
M. Ben Achour a cependant estimé que Kais Saïed, son ancien étudiant, «pourra composer et jouer le rôle positif d’arbitre dévolu au président», en cas de victoire finale, lors du scrutin du deuxième tour, contre le candidat du parti Qalb Tounes, Nabil Karoui.
Le spécialiste des théories politiques islamiques et de droit public n’a donc pas caché que, suite aux résultats du premier tour, Kais Saïed est le candidat qu’il souhaite voir à Carthage. Il a cependant confirmé que ce dernier est «ultra-conservateur» (mais sans qu’il ne soit islamiste, pour autant).
En revanche, le juriste, qui a récolté le plus de votes (18,4%), au premier tour, a «l’immense qualité d’être foncièrement honnête, avec une rigueur toute janséniste», d’après M. Ben Achour.
«Avec lui, la Tunisie aura un chef de l’État inattaquable », a-t-il estimé, ajoutant qu’après avoir écarté le candidat islamiste, Abdelfattah Mourou, il va «nous débarrasser de l’actuel gouvernement, sanctionné par les urnes. Comme tous ceux qui ont mal géré le pays ces dernières années, qui ont favorisé les faiblesses du régime démocratique, assumé le mauvais fonctionnement des institutions, affaibli l’État, emprisonné un candidat, favori, en pleine campagne, ou laissé la corruption prospérer et les conditions sociales se dégrader»… «Il y a un espoir qu’avec Kais Saied, le paysage politique soit rénové», a-t-il ajouté.
Nabil Karoui n’est pas «recommandable»
En ce qui concerne son avis sur l’autre candidat qualifié au deuxième tour, Nabil Karoui, Yadh Ben Achour n’y est pas allé par 4 chemins. Il est, pour lui, «loin d’être une personne recommandable», étant donné «la substance des affaires pour lesquelles il est poursuivi».
Pour rappel, le patron de la chaîne de télévision Nessma est détenu en prison depuis le 23 août 2019 pour des affaires de blanchiment d’argent, de corruption financière et d’évasion fiscale.
L’ARP est la responsable principale de cette situation
Toutefois, les circonstances qui ont accompagné l’incarcération de ce dernier n’enchantent pas Yadh Ben Achour : «Ces affaires datent de 2016. Pourquoi avoir tant attendu ? Cela reflète la très mauvaise gestion des amendements à la loi électorale, la bureaucratie, et le dilettantisme de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP)».
M. Ben Achour estime que l’ARP, particulièrement nonchalante, est l’une des principaux responsables de cette situation, puisqu’en plus des accusations de corruption qu’encourt Nabil Karoui, ce dernier aurait dû être exclu de la course à la présidence pour un autre motif : le fait d’avoir profité, durant des années, de sa télévision et de son association, Khalil Tounes, pour faire de la publicité politique : «Depuis 2015, l’Isie a alerté l’ARP sur les insuffisances de la loi, sur la nécessité de l’amender pour exclure, entre autres, les candidatures de personnes professant des discours de haine ou d’apologie de la dictature, ou profitant d’associations ou de la télévision pour faire de la publicité politique».
Mais «comme par hasard», il a fallu que Nabil Karoui apparaisse en tête d’un sondage, peu de temps avant les élections, pour que le projet de loi, à cet effet, qui a fini par être présenté par le gouvernement, soit voté et qu’un mandat de dépôt soit émis à son encontre, a regretté Yadh Ben Achour. «Mais c’était déjà trop tard», a-t-il ajouté.
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