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La faillite de Thomas Cook et le nauffrage du tourisme de masse en Tunisie

Au moment ou on s’attendait à un décollage du tourisme tunisien, la nouvelle de la faillite du groupe Thomas Cook est venue comme un «tsunami» dévastateur, laissant derrière lui des millions d’euros impayés et des centaines de milliers de touristes bloqués dans des hôtels et des aéroports de plusieurs pays y compris en en Tunisie.

Par Habib Glenza *

Rien qu’en Tunisie la dette de ce TO s’élève à 70 millions d’euros (220 millions de dinars tunisiens, MDT)! Ces pertes représentent plus de 60% du chiffre d’affaires annuel de près de 45 hôtels, la plupart situés à Hammamet et Djerba.

Du côté des agences de voyages, TTS est le plus affecté, en raison de sa coopération exclusivement avec Thomas Cook et Neckermann depuis des années.

Thomas Cook a entraîné dans sa chute un autre TO, appartenant au même groupe, qui a fait faillite le 24 septembre 2019, il s’agit de Neckermann Poland.

Un naufrage pourtant annoncé

Dans le milieu touristique polonais, on accuse ouvertement Thomas Cook d’avoir utilisé les recettes des ventes de l’actuelle saison pour éponger sa dette cumulée, en 2017 et en 2018, atteignant 227 millions d’euros!

Les mêmes sources officielles affirment que dans le monde des finances, en Angleterre, tout le monde était au courant des difficultés financières du voyagiste. Pour certains, la faillite du TO devait être annoncée fin avril 2019, après la dégringolade des actions de Thomas Cook en bourse ? Il reste à savoir pourquoi le représentant de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT) n’avait-il pas signalé, aux professionnels du tourisme tunisien, que Thomas Cook était en difficulté financière?

À qui incombe la responsabilité de ce naufrage ?

Certainement aux parties concernées par le tourisme tunisien: la Fédération tunisienne des agences de voyage (FTAV), la Fédération tunisienne de l’hôtellerie (FTH), le ministère du Tourisme et de l’Artisanat et l’ONTT.

La FTH et la FTAV, pour avoir misé aveuglément sur le tourisme de masse, malgré la variété des produits touristiques tunisiens disponibles, et pour avoir compté sur les grands TO étrangers, qui les poussent à plus de concessions pour brader les prix sur le marché touristique mondial, faisant de la Tunisie une destination touristique bas de gamme.

Le ministère du Tourisme et l’Artisanat tunisien et l’ONTT assument eux aussi une partie de ce désastre. En effet, l’absence de stratégie à court et moyen terme, à l’instar de nos concurrents marocains, égyptiens et turcs, l’incompétence des représentants de l’ONTT à l’étranger posent plus d’une interrogation.

La faillite de Thomas Cook aura des répercutions graves sur l’avenir du tourisme tunisien, par conséquent nous devons prendre les mesures qui s’imposent pour faire face à de telles situations désastreuses. La question est de savoir quelles sont les causes directes et indirectes qui nous ont conduits à cette situation tragique

Le tourisme de masse est-il rentable?

Le tourisme de masse dit balnéaire n’a donné aux hôteliers que des miettes pour certains et des dettes pour d’autres. Les seuls bénéficiaires sont les TO étrangers, qui ayant la mainmise sur notre tourisme, poussent nos hôteliers à davantage de concessions de prix pour mieux brader leurs offres.

Dans son article publié le 8 mars 2018 et intitulé «La reprise sera alimentée par les prix bas», Kapitalis a mis l’accent sur le bradage des prix qui ronge notre tourisme. Il reprend ce qui a été rapporté dans le journal à vocation touristiue ‘‘Travel Weekly’’ (TW) sur les propos du président de l’Association britannique des TO indépendants (AITO) Derek Moore: «L’histoire a montré que les craintes disparaissent très vite sous la pression irrésistible des bas prix. Certes pour se ressaisir, la Tunisie a besoin du retour de grosses pointures du voyage, comme Cook ou TUI, mais au bout du compte ce sont les prix qui finissent par prendre le dessus et qui déterminent le suite du parcours. Les souvenirs (allusion a l’attaque, de Sousse et du musée du Bardo, contre les touristes britanniques, Ndlr) ne sont pas éternels, en somme».

TW rapporte aussi que pour la programmation de la destination Tunisie, Thomas Cook a offert à ses clients des prix imbattables: la semaine en all inclusive à Hammamet pendant les mois de mars, avril et mai a été mise en vente par Thomas Cook à moins de 300 £ (1020 DT). Cette offre sera relevée à 419 £ (1426 DT), à partir du mois de juin mais elle sera toujours abordable.

Alan Bawen, conseiller des compagnies Atol, affirme que les TO sont en train d’offrir des chambres hôtel pour presque rien. Peter Frankhauser, Pdj de Thomas Cook, rejette l’idée selon laquelle sa compagnie a décidé de «casser les prix» pour assurer sa reprise sur la destination Tunisie. Il prétend qu’il répond au besoin du marché britannique. Or, ce que dit le Pdg de ce groupe est insensé car 300£ ou même 419 £ par semaine en all inclusive est à la portée de n’importe quel sans abri européen. Ce responsable n’a pas seulement «cassé les prix», mais il a fini par «casser l’espoir» des hôteliers et des réceptifs tunisiens.

Thomas Cook n’est pas le seul responsable du naufrage du TO, nos hôteliers et nos réceptifs, qui bradent, régulièrement, les prix depuis des années, sont eux aussi complices.

Quelle stratégie doit-on suivre?

La nouvelle stratégie ne doit plus reposer uniquement sur le tourisme de masse; il convient plutôt de chercher les moyens de valoriser la destination Tunisie. En effet, nous ne savons pas tirer profit de la richesse de nos produits touristiques variés tels que le tourisme de santé (spa) où la Tunisie occupe la 2e place derrière la France, le tourisme archéologique, le tourisme culturel, le tourisme saharien, la beauté des oasis, le tourisme sportif et nautique et d’autres produits.

Bien exploitées, ces richesses, dont peu de pays touristiques disposent, vont certainement relever le taux annuel moyen d’occupation de nos hôtels qui reste encore faible (50/60%).

De ce fait les revenus par touriste ne dépassent pas 500 DT, tandis qu’ailleurs chez nos concurrents marocains, égyptiens et turcs, ils vont du double au triple. Un petit pays comme la Croatie, qui compte un peu plus que 5 millions d’âmes, reçoit plus de 12 millions de touristes avec un revenu annuel dépassant les 24 milliards de dinars tunisiens, soit 5 fois plus que chez nous. Le tourisme croate participe à raison de 18% du PIB du pays!

Chez nos concurrents, le tourisme tourne toute l’année sans arrêt (basse, moyenne et haute saison), grâce aux facteurs suivants: produits touristiques variés, qualité de service, Open Sky…

Le tourisme de ces pays ne compte pas seulement sur le tourisme de masse, mais également sur le tourisme de groupes (groupes de familles, groupe d’amis) et sur le tourisme individuel, pour meubler la basse et la moyenne saison. L’Open Sky est devenu une nécessité pour ramener des millions de touristes qui programment leurs séjours pendant la basse et la moyenne saison, notamment les touristes des pays d’Europe centrale où il n’y a ni de ligne régulière ni charters avec la Tunisie, à partir du mois de septembre!

Notre pays est en mesure de recevoir 20 millions de touristes par an, car notre capacité d’hébergement de plus de 220.000 lits le permet aisément; il reste à instaurer une stratégie à court et moyen terme qui compterait moins sur le tourisme de masse et plus sur un tourisme de groupes, plus lucratif, ainsi qu’à ouvrir notre espace aérien aux transporteurs low cost qui fonctionnent très bien en Europe.

Changer de responsable à la tête de l’ONTT et ses représentants à l’étranger, sans tenir compte des compétences et sans changer de stratégie globale, ne donnera aucun résultat.

* Ingénieur en blanchisserie hospitalo-hôtelière.

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