Depuis l’annonce des résultats préliminaires des élections législatives, le Courant démocrate (Attayar) a mis et réitéré, à plusieurs reprises, ses conditions pour intégrer le prochain gouvernement, à savoir un chef du gouvernement indépendant et des membres du parti à la tête des ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Réforme administrative. Des conditions presque synonymes de refus, mais qui laissent quand même une petite ouverture aux négociations puisque ce rejet implicite n’a jamais été exprimé de façon claire et catégorique.
Par Cherif Ben Younès
De son côté, Ennahdha, qui a décroché le plus grand nombre de représentants (52, soit environ 22% de l’ensemble des sièges) à la prochaine Assemblée des représentants du peuple (ARP), et qui est, par conséquent, appelé à former le prochain gouvernement, se retrouve dans l’obligation de se chercher des alliés, étant donné que son score ne lui a pas garanti une majorité parlementaire.
Face aux conditions d’Attayar, Ennahdha préfère voir la tasse à moitié pleine
C’est dans ce contexte que ses dirigeants cherchent à exploiter la moindre opportunité allant dans ce sens, surtout lorsque celle-ci provient d’un parti tel qu’Attayar, qui serait un partenaire privilégié pour le mouvement islamiste, pour plusieurs considérations politiques. Et se montre, à cet effet, prêts à faire des concessions… dans la mesure du raisonnable.
Afin d’aller de l’avant dans cette optique, les deux hommes forts du mouvement, à savoir son chef Rached Ghannouchi et l’ancien chef du gouvernement (mars 2013 – janvier 2014), Ali Larayedh, ont accueilli, ce mardi, 29 octobre 2019, une délégation du Courant démocrate composée par Mohamed Abbou, son secrétaire général, et Ghazi Chaouachi, député à l’ancienne et à la nouvelle ARP, sur la circonscription de Ben Arous, et ce afin d’étudier la possibilité d’une alliance avec Attayar et de discuter ses conditions, en vue de constituer, ensemble, le prochain gouvernement.
Ok pour la mise en place d’un chef de gouvernement indépendant, mais pas pour le principe de quotas partisans
A l’issue des discussions entre les 4 politiciens, Ennahdha a été favorable à l’idée de mettre en place un chef du gouvernement indépendant et accepté à l’unanimité par les partis politiques qui constituent la scène parlementaire, et à qui un programme spécifique, qui inclut les priorités économiques, sociales et politiques du peuple tunisien, sera confié.
Par ailleurs, sous le slogan de l’intérêt national, les islamistes ont exprimé leur réserve vis-à-vis de l’idée d’attribuer les ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Réforme administrative à Attayar, de crainte de tomber dans le système des quotas partisans. Un souci qui pourrait représenter, selon eux, un obstacle au prochain chef du gouvernement qui devra jouir pleinement de son influence auprès des membres de son équipe.
Ennahdha a ainsi proposé de permettre à ce dernier de choisir lui-même les membres de son gouvernement, à condition de respecter certains critères…
Des membres du gouvernement pas soupçonnés de corruption… pour faire plaisir à Attayar ?
Ceux-ci ne doivent pas être soupçonnés de corruption, ni appartenir à un parti politique ou une association ou organisation liée à un parti politique. D’autre part, ils doivent détenir l’expertise et les compétences scientifiques et nécessaires, aux niveaux national et international, en rapport avec leurs ministères respectifs. Et ils ne doivent pas avoir collaboré avec le régime politique précédant la révolution de 2011.
Ennahdha a, par ailleurs, proposé de constituer un groupe de représentants des partis politiques, pour faire les « chasseurs de têtes » par rapport au choix du prochain chef du gouvernement, et de s’accorder sur un nom qui soit connu pour son intégrité, son efficacité, son expertise, ainsi que ses relations à l’échelle internationale avec diverses institutions, telles que la Banque mondiale, les fonds mondiaux d’investissement et les différents organes de l’Organisation des Nations unies (ONU).
L’objectif étant de trouver des solutions à la crise économique qui menace très sérieusement le rythme de croissance espéré au cours des 5 prochaines années.
Trois noms ont ainsi été évoqués : Mongi Hamdi (ancien ministre tunisien des Affaires étrangères entre 2014 et 2015), Habib Karaouli (président-directeur général de la Banque d’Affaires de Tunisie) et, si la condition de ne pas avoir collaboré avec le régime de Ben Ali ne sera pas maintenue, Mohamed Nouri Jouini (ancien ministre de la Planification et de la Coopération internationale, entre 2002 et 2011).
Respecter ses principes, satisfaire ses bases et prendre soin de l’intérêt du pays… L’équation difficile que doit résoudre Attayar
De leur côté, les représentants d’Attayar ont réservé leur réponse et se sont engagés à consulter les structures du parti pour étudier ces propositions et y répondre dans les meilleurs délais.
Rappelons que les raisons pour lesquelles ce parti social-démocrate a mis la barre aussi haut quant aux conditions de collaborer avec Ennahdha sont, d’après les déclarations de ses dirigeants, et à leur tête Mohamed Abbou, le fait qu’il ne fait pas confiance au mouvement islamiste.
En effet, Attayar reproche à Ennahdha d’avoir échoué à la gouvernance du pays lors des 8 dernières années, et remet en doute son intégrité du fait qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour combattre la corruption durant cette période. Certains de ses dirigeants sont même soupçonnés de corruption et les dirigeants d’Attayar ne manquent pas de le rappeler.
D’autre part, le parti fondé en 2013 sait qu’il risque de ne pas être pardonné par ses électeurs actuels et potentiels s’il s’allie au parti islamiste, et d’être sanctionné aux prochaines élections, comme cela a été le cas pour tous ceux qui ont fait cette expérience, par le passé, depuis la révolution, à l’instar du Congrès pour la République (CPR), Ettakatol ou encore Nidaa Tounes et Tahya Tounes.
Réussira-t-il donc à respecter ses principes, satisfaire ses bases, tout en prenant soin de l’intérêt du pays ? Les prochains jours nous le diront…
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