Toutes les facultés de médecine tunisiennes observent, aujourd’hui, 4 novembre 2019, une grève nationale, à l’appel de l’Organisation tunisienne des jeunes médecins (OTJM), en protestation contre les sanctions qui ont visé Wajih Dhokkar, étudiant en médecine, suite à un post Facebook où il a critiqué la gestion administrative de la faculté de médecine de Tunis.
Par Cherif Ben Younès
Le début de l’affaire remonte au mois de juin, lorsque l’étudiant a fait part de son mécontentement de certains agissements ayant eu lieu dans l’établissement universitaire, via une publication Facebook, dans un groupe fermé dédié aux étudiants.
«Si je ne demande pas pardon, je serai renvoyé»
«Ils ferment la bibliothèque durant les 3 jours de l’aïd… Ils la refermeront le 10 et le 11 juin… Ils coupent le wifi… Et on n’a rien dit. Mais de là à nous laisser bouillir, sans climatisation, dans la bibliothèque, alors qu’il fait 1 million degrés et que tous les autres départements de la faculté sont climatisés… Pourquoi !? Y a-t-il une explication ?? Y en a marre de la stupidité et de la mauvaise gestion», a-t-il écrit.
Les responsables de la faculté n’ont visiblement pas apprécié la critique, estimant que les propos de Wajih Dhokkar étaient «diffamatoires et violant le devoir de réserve». Et leur réaction fut, pour le moins démesurée : ils ont, en effet, décidé de le renvoyer pour 4 mois, l’empêchant, ainsi, de valider ses stages estivaux et le condamnant à redoubler l’année universitaire.
Pire encore. Si on en croit la version de l’étudiant, les procédures disciplinaires n’auraient pas été respectées et devant le conseil disciplinaire, on lui aurait fait une sorte de chantage psychologique : «Une membre du conseil m’a dit que si je ne demande pas pardon, je serai renvoyé».
L’étudiant aurait, par la suite, été renvoyé sans aucun document qui prouve la décision. De ce fait, il a été privé, durant des semaines, de son droit de saisir le tribunal administratif (TA).
Il a dû, finalement, faire appel aux services d’un huissier de justice pour jouir de ce droit, toujours selon ses propres déclarations.
Une affaire d’abus de pouvoir ?
En plus d’être lourdement puni pour avoir simplement exprimé un avis, M. Dhokkar estime que la loi et le bon sens ne donnent pas à la faculté le droit de prendre des mesures disciplinaires en se basant sur ce qui s’est passé à l’extérieur de l’établissement scolaire. Il aurait fallu, pour cela, saisir la justice.
On serait, dans ce cas, clairement, devant une affaire d’abus de pouvoir.
«Ce qui m’étonne, c’est que je suis un étudiant et que j’exige l’application de la loi, alors que mes seniors agissent comme s’ils étaient dans un kotteb. […] Mon nom a été supprimé d’un stage et le docteur se contente de me dire : ‘‘J’ai entendu parler que tu seras renvoyé’’», avait-il également déclaré aux médias, montrant qu’il tient vraiment à sa liberté d’expression.
Le 23 octobre, l’étudiant a écrit un statut Facebook où il annonce la décision du TA… qui lui a été défavorable : «Aujourd’hui, le tribunal administratif a décidé de rejeter ma demande d’arrêter l’application de la décision de mon renvoi de la faculté», tout en remettant en question, implicitement, l’impartialité du tribunal : «Si j’entre dans les détails, on m’accusera d’attaquer la justice et de douter de son intégrité. je vais donc me taire».
Faut-il qu’on s’immole par le feu pour qu’on nous entende ?
Ses critiques envers le doyen de la faculté de médecine de Tunis ont été, en revanche, explicites : «Quel exemple voulez-vous donner à vos étudiants lorsque vous en renvoyez un, lui faisant perdre une année de sa vie, pour un [simple] statut Facebook ?? […] Quand je publie un statut Facebook, vous m’appelez le lendemain matin, mais quand on demande de vous rencontrer, afin de suivre les procédures, on passe un mois et demi à attendre sans que personne ne nous contacte. Qu’est-ce que cela veut dire ? Faut-il qu’on s’immole par le feu pour vous rencontrer ?»
Depuis la décision du TA, plusieurs organismes politiques et/ou estudiantins, relevant notamment de l’Union générale des étudiants de Tunisie (Uget) et l’Union générale tunisienne des étudiants (UGTE), ont rendu publics des communiqués de soutien à Wajih Dhokkar, qui a été victime, selon eux, de mesure abusives, estimant que son affaire est liée au droit – humain et constitutionnel – à la liberté d’expression.
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