Après avoir appelé à délivrer le passeport tunisien aux Tunisiens de confession juive, installés en Israël, le ministre du Tourisme -et du Transport, par intérim-, René Trabelsi, fait l’objet de vives critiques, ces derniers jours, et a été ouvertement accusé de normalisation avec l’Etat d’Israël…
Par Cherif Ben Younès
Le conflit israélo-arabe est, depuis la création de l’Etat sioniste, en 1948, parmi les sujets les plus délicats dans le monde arabo-islamique, et, pour y avoir été souvent confronté, René Trabelsi, étant à la fois Tunisien et de confession juive, est bien placé pour le savoir.
Un sujet sensible à traiter avec diplomatie
C’est pour cette raison que, du haut de son poste de ministre du Tourisme et de l’Artisanat, qu’il occupe depuis un peu plus d’un an, il a toujours traité ce sujet, avec beaucoup de tact, de diplomatie et d’intelligence, que ce soit en Tunisie ou à l’échelle internationale.
En témoigne, notamment, sa déclaration d’il y a quelques mois, à une chaîne de télévision israélienne, lorsqu’il a été interrogé sur cette question : «La Tunisie est un pays historiquement engagé dans la paix au Moyen-Orient, depuis l’époque de Bourguiba […] En tant que ministre, je respecte la volonté et la ligne générale de mon gouvernement.»
René Trabelsi essaye donc, comme il le peut, d’arrondir les angles, tout en se conformant à la position officielle -et surtout populaire- de son pays, la Tunisie, qui soutient, corps et âme, la cause palestinienne, pour des raisons humanistes et culturelles.
Un ministre du tourisme est tenu tenu à remplir les caisses de l’État
L’homme d’affaires sait, néanmoins, qu’il est tenu à réussir sa mission ministérielle, d’autant plus qu’elle concerne un secteur «vital» pour l’économie tunisienne, à savoir le tourisme, surtout dans la conjoncture actuelle.
Et c’est dans ce cadre qu’il a appelé, il y a quelques jours, à délivrer le passeport tunisien aux Tunisiens de confession juive, installés en Israël, afin de leur permettre de faire le pèlerinage de la synagogue de la Ghriba. Un rite religieux qui se déroule à Djerba… sa ville natale.
En effet, il serait non seulement déraisonnable, sur le plan économique, de se priver des recettes touristiques qui accompagnent cette tradition, mais également cruel, sur le plan humain, de priver des gens d’un droit aussi universel que la liberté de culte, d’autant que pour les juifs tunisiens d’Israël, ce pèlerinage a une grande valeur affective et symbolique et les rattache à la terre de leurs arrière-grand-parents.
Il convient de préciser à ce propos que la suggestion de René Trabelsi concerne «ceux qui disposent déjà d’un passeport tunisien, mais qui risquent de ne pas pouvoir le renouveler lorsqu’il sera expiré», comme il l’a affirmé lui-même lors de son passage sur Attesia TV, hier soir, 3 décembre 2019.
Difficile de faire face aux critiques et au populisme des détracteurs
La fin ne justifie toutefois pas les moyens, aux yeux d’une bonne proportion du peuple, dont l’esprit est trop carré pour percevoir cette affaire d’un angle rationnel, et également aux yeux de certains politiciens, qui, par conviction ou par populisme, préfèrent jeter le bébé avec l’eau du bain, notamment en accusant l’auteur de cette proposition de sioniste.
Cependant, si M. Trabelsi était vraiment sioniste, comme certains de ses compatriotes l’accusent, il aurait émigré depuis longtemps en Israël, or il s’est gardé de le faire et a choisi de vivre, de faire souche et de travailler dans son pays natal, la Tunisie, à l’instar de son père, Perez Trabelsi, président de la commission d’organisation du pèlerinage à la Ghriba, et de beaucoup de membres de sa famille.
Parmi les détracteurs de M. Trabelsi, Khaled Krichi, dirigeant du mouvement nationaliste arabe Echaâb, membre de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), qui a demandé, via un statut facebook, à ce que le ministre soit carrément limogé.
Etant probablement conscient que dans ce débat, «tout ce qu’il dira pourra être retenu contre lui», la réponse de René Trabelsi fut malheureusement peu persuasive, se contentant -ou presque- de rappeler qu’en Arabie Saoudite, un laisser-passer spécial est attribué aux Arabes Israéliens pour leur permettre d’effecteur le pèlerinage islamique.
Le reste des arguments manquaient cruellement de profondeur, et un chemin conspirationniste a même été emprunté par le ministre. «Il y a des gens qui ont peur que j’occupe un poste au prochain gouvernement ou qu’on atteigne les 9 millions de touristes […] Financièrement, je touche en France 10 fois plus que mon salaire ici. Je n’ai rien à gagner et j’ai même dû quitter ma famille là-bas», a-t-il notamment répliqué, assez maladroitement du reste, alors que sa position se défendait aisément sans ces considérations personnelles oiseuses.
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