Attendus à Pau (sud de la France), c’est devant les tombes de 71 soldats nigériens tombés, sous les balles des «jihadistes» que les chefs d’Etat du G-5 Sahel se sont réunis à Niamey pour clamer leur angoisse devant l’évolution de la situation et appeler au secours. Plus qu’un symbole.
Par Hassen Zenati
En ce dimanche 15 décembre 2019, à Niamey, au Niger, ils étaient tous là, les mains tournées vers le ciel dans une «fatiha» (ouverture du Coran) recueillie devant 71 tombes de soldats victimes l’avant-veille de la tuerie d’Inates (nord-ouest du Niger) perpétrée par des groupes jihadistes, suivie d’une minute de silence, qui semblait s’éterniser dans une ambiance lourde de reproches et de malentendus.
Ibrahim Boubacar Keïta (Mali), Roch Marc Christian Kaboré (Burkina Faso), Mahamadou Issoufou (Niger), Mohamed Ould Ghazouani (Mauritanie) et Idriss Déby Itno (Tchad) auraient dû se trouver à Pau (sud de la France), le lendemain 16 décembre, où ils avaient été invités par le président français Emmanuel Macron, qui voulait «clarifier leur position» à l’égard de l’intervention militaire française connue sous le nom de code de Barkhane, au lendemain de la mort de treize soldats français dans ce qui avait été présenté comme un accident d’hélicoptère dans le ciel malien.
La responsabilité occidentale dans le chaos au Sahel
Mais, le ton employé par le chef de l’état français, reçu comme une «convocation» plus qu’une «invitation» entre pairs, et le fait qu’ils aient découvert l’information dans la presse, au lieu qu’elle fasse l’objet d’un courrier officiel comme l’exige le protocole, les a tellement agacés qu’ils se sont rebiffés, contraignant Paris à reporter le sommet prévu au 13 janvier 2020, et à se résigner à voir les cinq intéressés se réunir pour se concerter au préalable entre eux sans témoin. Les présidents ouest-africains tenaient par ailleurs à exprimer in situ leur solidarité au Niger en deuil. Ils se sont quittés en appelant la communauté internationale à «renforcer son soutien» à leurs pays confrontés à une menace terroriste persistante, et en redemandant à l’Onu de renforcer le mandat de sa force militaire conjointe et de celui de la Minusma, dont les pouvoirs et les moyens restent limités, selon eux. Ils ont également «réitéré leur volonté de tout mettre en œuvre pour améliorer la coordination entre la force conjointe, les forces nationales et les forces internationales alliées», et prévenir ainsi le «chaos» qui, selon eux, se profile dans la région depuis l’intervention militaire occidentale en Libye et la chute du régime de Mouammar Kadhafi.
Autant de points qui figureront aussi à l’ordre du jour de la conférence de Pau, une ville des Pyrénées Atlantiques, qui été choisie symboliquement parce qu’elle abrite le 5e Régiment d’hélicoptères de combat (RHC), dont venaient sept des treize soldats français tués au Mali.
Selon Paris, ce sommet franco-africain «aura pour objectif de réévaluer le cadre et les objectifs de l’engagement français au Sahel. Il permettra également de poser les bases d’un soutien international accru aux pays du Sahel». Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki, le président du Conseil européen, Charles Michel, le vice-président de la Commission européenne et Haut-représentant pour les Affaires étrangères, Josep Borrel, y ont également été conviés.
La France se sent plus en plus seule au Mali
Arrivée en fanfare pour une intervention qui ne devait durer que quelques mois, la France se sent plus en plus seule au Mali, au seuil de l’enlisement, alors que la «zone jihadiste» ne cesse de s’étendre, alimentée en hommes et en armes à partir de la Libye, transformée en sanctuaire et en marché à ciel ouvert pour l’acquisition des arsenaux de matériels soviétiques laissés à l’abandon par l’armée libyenne à la dérive. Les groupes jihadistes y sont adossés à des passeurs et des trafiquants de tout acabit, notamment d’êtres humains vers l’Europe.
Alors que les attaques jihadistes se font plus fréquentes et plus meurtrières, le président Macron doit tenir compte d’une défiance accrue à l’égard de la France, non seulement parmi la population, mais aussi au plus haut niveau des états. Le ministre de la Défense du Burkina Faso s’est ainsi demandé à voix haute si Paris n’a pas d’agenda caché au Sahel, qui va, selon lui, au-delà de sa mission affichée de lutte anti-terroriste.
Les 4.500 soldats français de la force Barkhane, épaulés ponctuellement par les Américains et les Britanniques, ne suffisent plus à la tâche dans un territoire désertique grand comme cinq fois la France, où les jihadistes ciblent en priorité le maillon faible de la chaîne : les armées locales, mal équipées, peu entraînées et mal protégées. Ces attaques se concentrent dans la zone dite des «trois frontières», où se rencontrent sans délimitation physique visible, les territoires du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Elles sont menées par trois groupes identifiés, dont le plus visible est l’Organisation de l’Etat islamique Daech au Grande Sahara (EIGS).
Au cours du second semestre, les principaux assauts ont fait, en novembre, 49 tués dans l’attaque contre la garnison d’Indelimane (Mali), 38 morts, en octobre, à Boulikessi (Burkina Faso), et 24 morts, en août, dans une attaque contre la base de Koutougou, près de la frontière malienne. Le sous-secrétaire général de l’Onu pour l’Afrique, Bintou Keita, indique que le Burkina Faso a enregistré 489 incidents opposant groupes armés et forces régulières, contre 150 à la même période en 2018, tandis que le Niger connaissait 118 attaques, contre 69 en 2018. Chassés en 2012 des trois grandes villes du nord du Mali, Tombouctou, Gao et Kidal, certains groupes islamistes y sont revenus en force. Ils se sont ré-enracinés localement et y appliquent une gouvernance de l’ombre à coup d’oukases religieux.
Pour Macron, l’heure n’est pas au repli stratégique au Sahel
Lancé dans l’euphorie, le G5 Sahel n’est pas parvenu à s’imposer comme force capable de garantir la stabilité dans la région. La coordination opérationnelle souhaitée avec les forces étrangères sur le terrain s’est avérée laborieuse, sinon impossible à cause d’une disparité évidente de niveaux de formation et d’équipement. L’interopérabilité est nulle, selon les experts. Les financements promis font encore défaut. Plusieurs pays de l’Union européenne qui ont promis 414 millions de dollars traînent les pieds, l’Arabie saoudite s’est désistée, invoquant ses lourdes charges au Yémen.
C’est ce qui explique les coups de gueule successifs poussées par Emmanuel Macron, contre l’Allemagne, d’abord, et tout dernièrement contre l’Otan, décrit tout récemment comme une organisation «en état de mort cérébrale», insensible aux souffrances endurées par les armées françaises. Au nom de la sécurité de l’Europe, il les appelle en renfort au risque de se laisser déborder par des groupes très mobiles, de plus en plus aguerris et de mieux équipés. Une «brigade européenne» de forces spéciales d’une dizaine de pays viendrait ainsi rompre l’isolement des troupes françaises. Pour Macron, en effet, l’heure n’est pas au repli stratégique au Sahel, malgré la lourdeur du fardeau, les coups reçus et les polémiques récurrentes que l’opération «précipitée», selon ses adversaires, ordonnée par son prédécesseur Français Hollande, suscite dans la classe politique, et jusqu’au sein de sa propre majorité.
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