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Mali : L’opération Barkhane recentrée et sa stratégie revue

Réunion du G5 Sahel à Pau: Macron et ses pairs du Sahel.

De Pau, aux pieds des Pyrénées, le 13 janvier 2020, à l’occasion de la réunion du G5 Sahel, Emmanuel Macron a lancé un message assorti d’une menace implicite de retrait, pour faire taire les opposants locaux à l’intervention française au Sahel : la France est au Sahel pour assurer la stabilité et la sécurité, et n’a pas d’agenda particulier, a-t-il dit.

Par Hassen Zenati

«Je sais qui est tombé pour la sécurité des Maliens, des Nigériens, des Burkinabé. Des soldats français. Les déclarations que j’ai eu à entendre ces dernières semaines sont indignes. Ils sont combattus avec beaucoup de fermeté par vos dirigeants. Ils servent d’autres intérêts, soit ceux des groupes terroristes, soit ceux d’autre pays qui voudraient voir l’Europe plus loin, parce qu’ils ont d’autres agendas, des agendas de mercenaires (allusion à la présence de plus en plus voyante d’armées privées, mises à la disposition de certaines capitales de la région par la Russie, Ndlr). L’armée française est là pour la sécurité et la stabilité. Je n’ai pas d’autres agendas», a dit le président français.

Lèvres serrées et visage fermé, Emmanuel Macron, excédé, le geste tranchant, entouré de ses homologues du G-5 Sahel : Idriss Déby (Tchad), Mahamadou Issoufou (Niger), Ibrahim Boubacar Keita (Mali), Roch Marc Christian Kaboré (Burkina Faso) et Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani (Mauritanie), a répondu sans prendre de gants, à l’interpellation d’un journaliste malien qui l’interrogeait sur les oppositions de plus en plus vives affichées par la population contre l’intervention française au Sahel.

Le déploiement des troupes françaises, à la demande du Mali, avait été ordonné par le prédécesseur d’Emmanuel Macron, François Hollande, pour donner un coup d’arrêt à la progression d’une alliance de séparatistes azaoued (touaregs) et de jihadistes islamistes, qui voulaient prendre de force Bamako, après s’être assuré le contrôle du nord du pays.
Malgré un accord de paix signé en 2015 entre ces rebelles et le gouvernement central, mais jamais mis en œuvre, de nouveaux groupes armés se sont constitués, puis ont essaimé au centre du Mali, du Burkina Faso et du Niger.

Une crise humanitaire imminente

Le nombre de victimes dans les deux camps, se chiffre désormais en milliers, sans compter les civils qui subissent les dégâts collatéraux de cette guerre asymétrique, menée aussi par des trafiquants de drogue et des trafiquants d’être humains parmi les innombrables migrants traversant la zone en quête d’un refuge en Europe.

Outre les migrants, les Organisations non-gouvernementales (ONG) sur le terrain, estiment à plusieurs centaines de milliers le nombre de déplacés internes en 2019, forcées de fuir les combats et les exactions : 500.000 au Burkina Faso, plus de 80.000 au Mali. Ils ont délaissé toute activité, ce qui pourrait être le prélude à une crise humanitaire imminente. Des centaines d’écoles ont été abandonnées dans les trois principaux pays concernés : Mali, Burkina Faso, Niger, laissant sur le carreau plusieurs milliers d’élèves déscolarisés. Depuis le début de son intervention, la France a perdu 41 hommes.

Depuis plusieurs semaines, les remontés du terrain faisaient état d’interrogations diffuses, d’inquiétudes voire de franche hostilité d’un nombre croissant de sceptiques locaux concernant l’opération Barkhane, dont ils attendaient beaucoup pour juguler la poussée terroriste dans leur région, mais dont les résultats, sept ans après, restaient à leurs yeux, peu probants.

Une «guerre-éclair» ensablée dans un territoire hostile

Menée à la hussarde, dans une atmosphère d’euphorie, ponctuée de communiqués de victoire, l’opération, présentée d’abord comme une «guerre-éclair», s’est vite ensablée dans un territoire grand comme l’Europe. Le 10 janvier, la capitale malienne Bamako était de nouveau le théâtre d’un rassemblement de plusieurs centaines de manifestants, Place de l’Indépendance, stigmatisant l’intervention militaire française, ainsi que la présence de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) aux cris : «France dégage».

Pour Emmanuel Macron, il fallait rapidement «clarifier la situation politique», en obtenant des cinq pays concernés une déclaration commune soulignant que la France agit à la demande de leurs dirigeants, et légitimer ainsi, ou plus exactement re-légitimer, son intervention au Sahel. Comme l’a indiqué la ministre française des Armées, Florence Parly, il fallait «obtenir des responsables de la région une position nette de ce qu’ils aiment ou n’aiment pas». Sollicité pour renforcer son soutien aux opérations françaises, l’Allemagne réclamait aussi une telle re-légitimation. Et, c’est avec un soulagement non-feint que le chef de l’Etat français pouvait, à la fin d’un long huis-clos aux pieds des Pyrénées, exhiber d’une déclaration commune dans laquelle les présidents africains exprimaient «leur souhait de la poursuite de l’engagement militaire de la France au Sahel» et plaidaient pour un «renforcement de la présence internationale» à ses côtés, ce qui correspondait exactement aux vœux de leur hôte.

Une révision de la stratégie de Barkhane

Seule ombre au tableau, l’annonce, en plein sommet de Pau, par les Etats-Unis de sa décision de réduire sa présence miliaire en Afrique, ce qui ne manquera d’avoir son effet sur son engagement au Sahel. Un retrait qui, s’il est confirmé, sera regretté, car la présence américaine était «cruciale» et «offrait des capacités critiques, non-substituables», notamment en matière de renseignements, se sont empressé à faire valoir les chefs d’Etat, en exprimant leur «reconnaissance à l’appui apporté jusque-là par les Etats-Unis», et le «souhait» de le voir se poursuivre. Emmanuel Macron a promis qu’il poursuivra ses efforts pour convaincre Donald Trump de rester au Sahel.

Ces professions de foi politiques, se sont accompagnées d’une révision de la stratégie de Barkhane, comprenant son recentrage géographique et une redéfinition de ses objectifs prioritaires. L’opération phare du Sahel sera ainsi insérée dans un nouveau cadre baptisé «Coalition pour le Sahel», rassemblant les pays du G-5 Sahel, la France, ses autres partenaires déjà engagés dans la région, ainsi que les pays qui voudront les rejoindre. La Coalition sera placée sous un «commandement conjoint», ce qui devrait démultiplier sa réactivité face à un ennemi imprévisible. Son rôle sera de planifier, encadrer et superviser les opérations de Barkhane, des éléments des armées des pays concernés, et pas seulement ceux mis à la disposition de la force conjointe. En clair, elle pourra puiser à sa guise dans le vivier des armées nationales sahéliennes.

Empêcher les groupes terroristes de «faire leur beurre»

Paris a décidé d’envoyer 220 soldats supplémentaires, immédiatement opérationnels, pour l’épauler, en attendant l’arrivé d’une «task force» européenne destinée à renforcer les désormais 4.720 militaires français enrôlés dans Barkhane. La force européenne, baptisée d’un nom touareg, Takouba (Sabre), sera formée de forces spéciales, qui s’occuperont de la formation de futurs commandos maliens, nigériens, mauritaniens etc. Les nouvelles unités ainsi réunies doivent se concentrer sur la zone des «trois frontières», aux confins du Mali, du Burkina Faso et du Niger, d’où sont parties les grandes «razzia» des dernières semaines. Son objectif principal est la destruction des groupes armés de l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS), qui sont les plus structurés et les mieux armés, et dont la proximité des groupes armés libyens en font un gibier redoutable, difficilement saisissable. Ainsi réaménagé, le dispositif sera musclé par un contingent tchadien et une montée en puissance de troupes de l’Onu au nord du Mali, à Kidal, accompagné d’un retour sur place de l’armée malienne chassée par les terroristes.

En première ligne contre le terrorisme en Afrique – nourris de plus en plus par les résidus de Daech au Proche-Orient – les pays du G-5 Sahel figurent parmi les plus pauvres du monde. Ils manquent de tout sur un territoire immense aux trois quart désertique et vivent depuis leur indépendance des crises politiques récurrentes alimentées par des clivages entre communautés et ethnies. C’est en s’insérant dans ces conflits que les groupes terroristes parviennent à «faire leur beurre». L’un des quatre piliers de la nouvelle stratégie Barkhane est précisément de rétablir l’autorité des Etats sur leur territoire et de leur permettre d’y exercer leur pleine souveraineté.

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