Le bureau politique de Qalb Tounes a fait part, hier, mardi 21 janvier 2020, de son appréciation – aigre-douce – de la manière dont Kaïs Saïed a procédé à la désignation d’Elyès Fakhfakh pour la formation du prochain gouvernement. Cachant très mal son inconfort de se trouver ainsi mis hors du jeu décisionnel, le parti de Nabil Karoui se contente d’un «nous n’avons aucune réserve particulière à l’encontre la désignation de M. Fakhfakh» qui en dit long sur la frustration du patron de Nessma TV…
Par Marwan Chahla
Les choses ne sont plus ce que le président de Qalb Tounes croyait, ou qu’il souhaitait ardemment qu’elles soient, depuis le 10 janvier 2020, jour de la chute d’Habib Jemli et de la défaite du parti islamiste Ennahdha.
L’on se souvient de cette sortie triomphaliste de Nabil Karoui devant les médias, de sa prise de parole improvisée et de l’impression qu’il voulait donner qu’il avait les choses bien en main… Paternaliste, comme à son accoutumé, il a voulu rassurer l’opinion tunisienne sur la suite des événements (et se rassurer lui-même sur la suite de ses poursuites judiciaires pour corruption), allant même jusqu’à évoquer la formation d’un front parlementaire d’une quatre-vingt-dizaine de députés, qui ont barré la route au duo Ennahdha-Jemli et qui s’occuperont de la suite…
Le jeu n’est plus au Bardo mais à Carthage
Sauf que – et cela semble avoir échappé à Nabil Karoui et son Qalb Tounes -, depuis le 10 janvier 2020, la partie constitutionnelle qui a suivi devait se jouer au Palais de Carthage et la décision de qui prendra la relève de Youssef Chahed allait être prise, dans un premier temps au moins, par le chef de l’Etat – d’où l’appellation impropre mais consacrée «le chef de gouvernement du président de la République».
A présent, Nabil Karoui réalise que le rigoriste et indépendant Kaïs Saïed a sa manière et sa méthode de faire les choses: suivant à la lettre la Constitution, le locataire du palais de Carthage a invité les partis, blocs, coalitions parlementaires et députés à lui soumettre leurs desiderata; il a enregistré la réception de ces courriers; il a opéré une sélection de rencontres et de consultations; et, dans les délais légaux, il a arrêté sa décision et désigné Elyès Fakhfakh pour tenter de former une équipe gouvernementale qui sera soumise, elle aussi, à l’épreuve du vote de confiance de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
Tout est clair, net et sans bavure. Chacun des acteurs politiques est placé devant ses responsabilités: le chef de l’Etat a fait son choix et il était dans son rôle et les partis politiques, en cette étape, se trouvent dans l’obligation d’acquiescer, en espérant pouvoir encore peser sur la composition du gouvernement et avoir, chacun, sa part du gâteau, si gâteau il y a encore, car, là aussi, le doute est permis… Et pour cause: quelle partie (ou quel parti) osera se lancer dans un bras-de-fer avec un président massivement élu et qui n’est pas du genre à se laisser intimider, étant conscient de disposer de bonnes cartes en main ?
Une pilule dure à avaler pour Qalb Tounes
Pour Qalb Tounes, la pilule de ce fait accompli créé par le président de la République est dure à avaler, car tout se passe, à présent, comme si Kaïs Saïed ne tenait pas compte du poids parlementaire des partis et comme si, également, il montrait peu d’égard pour ceux d’entre les dirigeants politiques fanfarons trop tentés par le show médiatique… Cela veut dire que l’homme qui a été porté au pouvoir par le tsunami anti-establishment du 13 octobre dernier sait ce qu’il fait, sait ce qu’il veut…
Bref, Nabil Karoui réalise que son pouvoir d’influencer le cours des événements est limité – en attendant qu’Elyès Fakhfakh forme son équipe et se présente avec elle devant la plénière de l’ARP qui se prononcera sur le sort à lui donner…
Le communiqué du bureau politique de Qalb Tounes d’hier signifie que cette formation et son patron, en traitant avec Kaïs Saïed, devront faire preuve de plus de modestie: l’actuel locataire du palais de Carthage, qui n’a jamais caché son souhait de réviser la Constitution de 2014 et de la refonte du code électoral, est un homme à principe qui irait jusqu’au bout de ses convictions – et qu’il ne s’en laisserait pas conter… Et c’est là une mauvaise nouvelle pour cette «partitocratie» tunisienne, où démocratie et corruption font bon ménage, mais qui commence à prendre de l’eau de partout !
En somme, le patron de Qalb Tounes devra se rendre compte, lui qui a été capable de transformer son association de bienfaisance ‘Khalil Tounes‘ en parti politique, à quatre mois des dernières législatives, a pu récolter 38 sièges à l’ARP et réussit à accéder au second tour de la présidentielle anticipée, que le processus décisionnel risque de lui échapper de plus en plus. Qu’il est loin le temps de Béji Caïd Essebsi où le patron de Nessma TV entrait et sortait du palais de Carthage, comme si on entrait et sortait d’une auberge !
Actuellement, le faiseur de rois doit se ranger et attendre…
Donnez votre avis