La célèbre pièce de théâtre ‘‘La Maison de Bernarda Alba’’, écrite en 1936 par Federico Garcia Lorca, a été présentée les 23, 24 et 25 janvier 2020 à l’espace El Teatro, à Tunis, dans une nouvelle adaptation en dialecte tunisien, mise en scène par Jean-Luc Garcia et Sihem Koutini. Un huis-clos féminin où le désir de vivre se confronte au poids du patriarcat et des conventions sociales.
Par Fawz Ben Ali
Après le succès de son adaptation en français par Jean-Luc Garcia, représentée à mainte reprises à El Teatro, ‘‘La Maison de Bernarda Alba’’ a été pour la première fois présentée en dialecte tunisien lors d’un nouveau cycle ayant eu lieu jeudi, vendredi et samedi derniers, devant un public venu nombreux pour redécouvrir l’un des textes les plus emblématiques du théâtre contemporain espagnol.
Un huis-clos féminin
Le dramaturge, poète, compositeur et peintre espagnol Federico Garcia Lorca avait écrit cette pièce en 1936, quelques mois avant d’être assassiné par le régime franquiste. Le texte a été publié 9 ans après, mais a continué d’être censuré jusqu’à 1953 en Espagne, comme d’ailleurs l’ensemble des œuvres de Lorca.
«Grâce à cette adaptation, j’ai pu découvrir le dialecte tunisien que j’ai trouvé aussi accueillant que son peuple !», nous-a confié le metteur en scène en voix off avant le début du spectacle. Jean-Luc Garcia, qui s’était installé depuis une dizaine d’années en Tunisie, a réussi à trouver la formule magique pour que la pièce puisse avoir un juste équilibre méditerranéen entre le dialecte tunisien et l’héritage culturel espagnol.
On est en 1930, dans un petit village de l’Espagne rurale où tout le monde veille à appliquer les conventions sociales à la lettre. Bernarda Alba, personnage principal de la pièce, est une mère de famille sexagénaire qui se trouve veuve pour la deuxième fois. Elle dirige d’une main de fer ses cinq filles et ses servantes. Petit à petit, on découvre le portrait d’une Andalouse très catholique dans un rôle quasi diabolique. Avec sa canne et sa longue robe noire uniforme, elle incarne l’autorité extrême dans cette maison où le deuil sera observé pendant 8 ans, a-t-elle décidé.
Bernarda Alba a la voix, la posture et le regard très masculins, car, après la mort de son deuxième mari, elle est désormais «l’homme de la maison» et veille à l’honneur et à la pureté de ses filles encore célibataires.
Le décor est construit d’une large table rectangulaire placée au milieu de la scène, quelques chaises et de longs draps blancs déployés sur les planches, créant un effet de contraste avec la noirceur des habits de deuil. Un décor unique tout au long de la pièce puisqu’on est dans un huis-clos qui traduit cette sensation d’étouffement et d’oppression vécus par les personnages féminins.
Briser les chaînes du patriarcat
La période de deuil n’est pas près de se terminer, et malheur à celle qui ose s’écarter du droit chemin ou désobéir à sa mère; mais les tensions, les jalousies et les règlements de compte finissent par refaire surface. La tyrannique Bernarda voit sa demeure voler en éclats mais tente bien que mal de sauver les apparences, car tout ce qui compte c’est ce qu’en dira les autres.
Près d’un siècle après sa publication, ‘‘La maison de Bernarda Alba’’ continue d’inspirer les metteurs en scène du monde entier grâce à un texte universel et quasi intemporel, car le poids de la religion et du patriarcat est toujours lourd, et la condition féminine n’a pas beaucoup évolué depuis. «Naître femme est le pire des châtiments !», dit-on dans cette pièce qui ne met en scène que des protagonistes féminins. Les quelques personnages masculins que l’on évoque n’apparaissent jamais, ils représentent des figures fantasmées, ce qui ne les empêche pas d’avoir une emprise décisive sur le destin de ces femmes.
Reprendre ‘‘La maison de Bernarda Alba’’ en l’année 2020 est donc un hommage à toutes ces femmes qui continuent de lutter pour leur liberté et dignité, et plus généralement aussi à tous ceux qui se battent pour reprendre leurs destins en main.
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