Sur le plan national, les événements se suivent mais ne se ressemblent pas. Dans leur forme du moins. Car sur le fond, tout porte à croire qu’au-delà de l’auto-flagellation, c’est vers une sorte d’autodestruction «programmée» que nous nous dirigeons, nous autres Tunisiens, lentement, mais sûrement.
Par Kais Nigrou *
Acte I :
Depuis la proclamation des résultats des dernières élections législatives en octobre 2019, voilà maintenant 4 mois qu’on est en attente de la formation d’un nouveau gouvernement. Gouvernement de la majorité parlementaire ou gouvernement «du président» (description inappropriée pour certains) : ça parle, ça se concerte, ça tergiverse, ça se dispute, ça s’envoie des sourires, jaunes le plus souvent, des fléchettes, amicales ou pas. Mais le résultat est là : pas de gouvernement pour l’instant (jusqu’à l’écriture de ces lignes en tout cas). Pourtant le gouvernement Chahed sortant a déclaré qu’il était bel et bien prêt pour la passation. Depuis longtemps.
Il faut dire qu’avec un paysage politique aussi fragmenté, dilué, morcelé, ou le tout venant se dit «chef» d’un parti, où le nombrilisme prévaut sur les idées, où la différenciation entre les divers acteurs se fait le plus souvent sur une appartenance clanique ou des considérations opportunistes que sur un référentiel clair et des programmes bien établis, on ne pouvait pas s’attendre à une configuration différente. On y rajoute une loi électorale censée permettre une représentativité large des différents courants, mais qui donne au final une mosaïque indescriptible, au point où former un bloc parlementaire ou une majorité capable de gouverner relève plus d’une «quadrature du cercle» que d’un mécanisme politique constitutionnel simple d’exécution.
Certaines voix se sont pourtant élevées pour la changer, ladite loi. Trop tard, ou mauvais timing, ou manœuvre de politique politicienne s’en sont offusquée d’autres !
Espérons au moins que l’on corrigera le tir pour les prochaines échéances (qui commencent déjà à pointer leur nez selon les vœux de certains!). Car si commettre une erreur relève du caractère humain, perpétuer les mêmes erreurs relève plutôt de la bêtise !
Acte II :
Depuis son élection, notre président de la république a raté pas moins de trois rendez-vous internationaux d’une importance non négligeable : le sommet de Berlin sur la Libye (soldé par échec à vrai dire), le Forum de Davos, et dernièrement le sommet de l’Union africaine. Ses déplacements à l’étranger se sont limités à un devoir de condoléances au sultanat d’Oman et au classique voyage de courtoisie en Algérie (mieux que rien !). Maigre bilan pour l’une des deux prérogatives essentielles de l’institution présidentielle : les affaires étrangères. Les causes évoquées pour justifier ces absences étant loin d’être toutes convaincantes.
Alors, il est vrai, qu’il y a eu entre-temps des déclarations «guerrières» contre l’ennemi sioniste, de quoi faire trembler tout le Moyen Orient. Mais sans conséquence aucune en faveur de la cause palestinienne, hélas ! Surtout s’y l’on rajoute le limogeage rocambolesque du représentant de la Tunisie à l’Onu, Moncef Baati, diplomate chevronné en l’occurrence. Les tenants et les aboutissants de ce limogeage restant obscurs pour l’instant. Ou encore le fameux «plan de paix au Moyen-Orient» proposé par l’actuelle administration américaine, dont le seul but est de rendre impossible, et d’une manière définitive, la solution à 2 Etats avec le souhait d’une approbation du monde, mais surtout des pays de la région. Preuve une fois de plus que notre voix est loin, très loin d’être entendue.
Mais le pire n’est pas là. Car monsieur le président de la république, conforté par un plébiscite électoral très large, a encore le temps de rectifier le tir, en oubliant le discours de la campagne, en s’entourant de conseillers compétents et expérimentés, en modifiant sa stratégie de communication et en s’intéressant aux problèmes des tunisiens d’abord. En endossant le costume de président de la république. Simplement.
Or force est de constater qu’une cabale de désinformation, à priori orchestrée, semble le viser ces dernières semaines. Car si certaines actions déclarations ou prises de positions semblent émaner indiscutablement de la présidence de la république, d’autres le sont beaucoup moins. Dans quel but ? À quelle fin? En faveur de qui? Enigme à élucider rapidement, car relevant de la sécurité nationale!
Acte III :
«Le sport doit rester en dehors de toute récupération politique». C’est écrit noir sur blanc dans la charte Olympique, signée par la majorité des pays du monde, dont la Tunisie. Le non-respect de cette règle peut entraîner des conséquences graves pour les sportifs ou les fédérations sportives dont ils dépendent, allant de la disqualification d’une compétition à l’interdiction d’organiser ou de participer à quelconque manifestation sportive pendant plusieurs années.
Et voilà que des voix s’élèvent pour discréditer une championne nationale de tennis, Ons Jabeur, ainsi que ses coéquipières de l’équipe nationale, suite à leur participation à la Fed Cup, où elles ont affronté l’équipe israélienne, qu’elles ont battue au passage. Ons Jabeur qui, rappelons-le, a réussi quelques semaines auparavant un exploit sportif inédit, en se qualifiant aux quarts de finale d’un tournoi du grand Chelem (Open d’Australie). Exploit équivalent à une qualification de notre équipe nationale de foot aux quarts de finale d’une Coupe du monde !
Y a-t-il meilleur moyen de défendre les couleurs de son pays ou de hisser son drapeau national parmi les nations ? Difficile à vrai dire. Il est beaucoup plus facile, par contre, de lancer des slogans à tout- va, d’accuser de traîtrise des compatriotes qui réussissent, de s’auto-octroyer la médaille du militantisme en prétendant apporter un soutien à la cause Palestinienne. Encore une fois…
À ces champions de la récupération politique aux résultats stériles, je conseille de lire la réponse de notre talentueux ministre du Tourisme, René Trabelsi, aux déclarations du député franco-israélien Meyer Habib appelant au boycott de la destination Tunisie. C’est avec des pareilles prise de position, en usant de ses relations diplomatiques (officielles et officieuses), en s’appuyant sur le droit international, en mobilisant les forces vives des peuples défendant les causes justes, qu’on arrivera à pousser les lobbyistes sionistes dans leur retranchement en les isolant. Et non en déclarant forfait durant les compétitions sportives !
Acte IV :
Le 4 février 2020, le chef du gouvernement Youssef Chahed annonce officiellement l’entrée en exploitation du champ pétrolier Nawara au sud du pays. Cette exploitation est censée augmenter de 50% notre production en gaz naturel, réduire notre déficit énergétique de 20% et notre déficit commercial de 7%. C’est dire s’il s’agissait d’une nouvelle réjouissante pour tous!
Or, un préavis de grève soutenu par le bureau régional de l’Union générale tunisienne de travail (UGTT) menace déjà l’arrêt des activités de ce champ !
L’UGTT, on le sait de part son histoire, dépasse de loin son simple rôle de centrale syndicale, défendant les droits des travailleurs. Cet organisme ayant contribué, en effet, à la construction des édifices de la nation tunisienne, en participant à la lutte pour l’indépendance du pays, en contribuant à asseoir les fondements de l’Etat d’après-indépendance ou encore en jouant un rôle prépondérant pendant et après la révolution de 2011, au point de lui avoir attribué le prix Nobel de la Paix en 2013 à côté d’autres organismes nationaux (Utica , Ligue des droits de l’homme, Conseil de l’ordre des avocats).
Les relations de la centrale syndicale avec les différents pouvoirs en place dépendaient du contexte historique et du cours des événements sur le plan national. Ces relations n’ont pas toujours été au beau fixe, allant d’une confrontation sanglante du temps de Bourguiba (événements de Janvier
1978), à une relation de paix sous couvert d’intérêts réciproques à l’époque de Ben Ali jusqu’à un rapport de forces, plutôt en faveur de la centrale syndicale, avec les gouvernements successifs depuis 2011. En effet, profitant d’un vide abyssal dont sont responsables les partis politiques, l’UGTT s’est imposée comme une force politique incontournable dépassant de loin sa mission syndicale, dictant souvent ses choix sur les orientations économiques et sociales et usant de sa capacité de mobilisation pour appeler à des manifestations ou mouvements de grève , non toujours sans abus (en notant au passage que de nombreux mouvements de grève illégaux ou sauvages échappent aux ordres de la centrale syndicale).
Et bien qu’il est utile voire nécessaire d’appeler à la concertation et au dialogue tous les acteurs, dont les partenaires sociaux, afin de dépasser toutes les difficultés auxquelles fait face notre pays, il faudrait comprendre qu’en terme des choix ou orientations, la décision finale doit revenir en premier lieu au pouvoir exécutif, issu d’une légitimité électorale, car c’est à celui-ci seulement que l’on portera plus tard la responsabilité de la réussite ou de l’échec des politiques choisies.
Alors à quand le sursaut? À quand le dépassement des égos ? Des slogans futiles ? À quand la priorisation de l’intérêt national devant les intérêts personnels ? À quand l’adoption d’une politique nationale se basant sur le rationnel et non l’émotionnel ou l’idéologique?
Nous attendons toujours. Entre-temps, la Tunisie continue à souffrir…
* Chirurgien, conseiller municipal, membre du bureau politique du parti Tahya Tounes.
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