L’annonce d’Ennahdha de se retirer du gouvernement Fakhfakh et de ne pas voter la confiance en sa faveur a mélangé les cartes, mais il a surtout chamboulé le processus de la dévolution du pouvoir exécutif prévu par la constitution, ouvrant la porte, en l’absence d’une Cour constitutionnelle, à diverses interprétations, où le bon sens n’est pas forcément présent.
Par Cherif Ben Younès
Si à travers l’article 89 de la constitution, le président de la république, Kaïs Saïed, a la possibilité de dissoudre le parlement en cas de chute du gouvernement Fakhfakh, et convoquer, par la suite, de nouvelles élections législatives, l’Assemblé des représentants du peuple (ARP) pourrait, selon la lecture de quelques uns, profiter du délai constitutionnel que doit attendre le président, le cas échéant, pour court-circuiter ce processus et appliquer l’article 97. Un article qui lui donne le droit de retirer la confiance au gouvernement actuellement en place et de le remplacer par un autre.
C’est ce qui a été, en tout cas, annoncé hier soir, 16 février 2020, par le dirigeant au sein du mouvement Ennahdha, Noureddine Bhiri, lors de son passage à l’émission «Maâ Samah Meftah», sur Hannibal TV.
Une ouverture exploitable dans la constitution
En effet, selon l’article 89, le président ne peut dissoudre le parlement que 4 mois, au moins, après la première désignation de chef de gouvernement depuis l’annonce des résultats des élections législatives. C’est-à-dire celle de Habib Jemli. Cela signifie, en l’occurrence, que c’est à partir du 15 mars prochain que Kaïs Saïed peut exercer ce droit constitutionnel. Habib Jemli ayant été nommé chef de gouvernement par Ennahda le 15 novembre dernier.
D’un autre côté, Elyes Fakhfakh, qui a été chargé de former un gouvernement le 21 janvier a jusqu’au 20 février pour présenter son équipe au parlement. Par conséquent, si le parlement n’accorde pas sa confiance à Fakhfakh, ce qui est, aujourd’hui, fort probable, au vu du poids parlementaire assez léger des parties qui le soutiennent, il y aura environ 25 jours (entre le 20 février et le 15 mars) où la constitution ne dit rien.
Le parlement peut-il, durant cette période, voter une motion de censure contre le gouvernement actuel, conduit par Youssef Chahed, en retirer la confiance et en mettre un nouveau à sa place ?
Cela correspondrait au souhait des partis qui ne veulent ni soutenir le gouvernement Fakhfakh ni donner lieu à de nouvelles élections, à savoir Ennahdha et Qalb Tounes. Lesquels pourraient, assez facilement, grâce au soutien probable de la coalition Al Karama, concrétiser cette possibilité.
Un putsch constitutionnel ou un énième moyen de pression ?
Cependant, un tel scénario ressemblerait davantage à une manipulation malhonnête de la constitution qu’à une interprétation recevable de celle-ci.
D’abord, parce que le gouvernement actuel a déjà présenté sa démission et qu’il n’est actuellement en place que pour expédier les affaires courantes, en attendant que le processus de dévolution du pouvoir, actuellement en cours, s’achève. Ce serait donc logiquement absurde d’appliquer une motion de censure contre un gouvernement démissionnaire.
Et puis surtout, parce que, comme l’a expliqué aujourd’hui la professeure de droit constitutionnel, Salwa Hamrouni, lors de son intervention à la matinale de Shems FM, cela serait «un détournement de l’article 89 de la constitution», prévu, contrairement au 97, à la situation politique actuelle.
Pour Mme Hamrouni, même si notre pays ne dispose (toujours) pas d’une Cour constitutionnelle et même si la constitution ne dit pas tout, il y a des évidences, et a jugé l’interprétation avancée par Noureddine Bhiri comme étant «tirée par les cheveux».
Le parlement n’a pas le droit de sanctionner le président de la république et de le priver de son droit constitutionnelle rien que parce qu’il respectera les délais prévus par la loi, tranche-t-elle.
«Autant mettre la constitution de côté et agir comme bon nous semble», s’est-elle encore indignée.
Ennahdha a-t-il l’intention et le culot d’aller jusqu’au bout de son «putsch constitutionnel» contre Kaïs Saïed ? Ou est-ce simplement sa dernière manœuvre politique pour mettre la pression sur ce dernier et «son» chef de gouvernement désigné, Elyes Fakhfakh, pour qu’ils acceptent d’inclure Qalb Tounes au gouvernement ?
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