Accueil » Le partage des sacrifices, principale condition de réussite du gouvernement Fakhfakh

Le partage des sacrifices, principale condition de réussite du gouvernement Fakhfakh

Dans cette «Lettre ouverte a monsieur le chef du gouvernement», l’auteur, professeur de médecine à la retraire, explique que les Tunisiens seront d’autant plus disposés à faire des sacrifices pour sauver leurs finances publiques d’une déroute annoncée que le gouvernement aura suffisamment de courage et de fermeté dans la mise en œuvre des réformes visant à assainir la gouvernance et à instituer une meilleure justice entre les composantes de la société.

Par Ali Bakir *

Monsieur,

Nous entendons de plus en plus parler de sacrifice que vous demanderiez au peuple de consentir et qui consisterait à faire don d’une semaine de salaire pour renflouer les caisses de l’Etat.

J’en ai discuté avec plusieurs personnes salariées de l’Etat de toutes les catégories et je puis vous dire que la majorité d’entre elles tient à peu près le même discours, sauf évidemment les gens nécessiteux de la catégorie des petits fonctionnaires qui tirent le diable par la queue et qui refusent catégoriquement; ce qui est bien compréhensible.

Pour la majorité des fonctionnaires, dits de classe supérieure ou moyenne, est prête à ce sacrifice mais cela en contrepartie de certaines conditions.

Le premier constat est que ce sont toujours les fonctionnaires qui payent les pots cassés (pour l’Histoire je vous rappelle la lettre de Mazarin à Colbert et, si vous ne la connaissez pas, je vous en ferai parvenir la référence)

Alors, si vous voulez que nous consentions à ce sacrifice nous avons le droit de vous demander d’avoir le courage politique de prendre des mesures urgentes et nécessaires pour redresser l’économie et surtout les finances.

1 – Commencer par diminuer les dépenses de l’Etat :

Il faut donc commencer par baisser le budget de la présidence; baisser le salaire du président qui est deux à trois fois plus élevé que celui de certains chefs d’Etat occidentaux ; supprimer les voitures de fonctions dont le coût à l’achat, en consommation de carburants et en entretien grève une bonne partie des budgets des ministères.

Je ne vois pas pourquoi un haut fonctionnaire qui, pour aller de chez lui à son institution comme tout autre, a droit à une voiture gratuitement.

Plus grave et injustifié, les ministres disposent de 3 voitures !? Ces privilèges n’existent pas dans de nombreux pays hyper-développés qui ne se permettent pas de gaspillage.

Seules les voitures de services sont nécessaires pour les fonctionnaires qui ont des déplacements avec un ordre et rapport de mission (ingénieurs des travaux publics, ingénieurs agricoles, etc.) et ce avec un contrôle strict. Il est honteux de voir des voitures de service utilisées pour promener la famille les weekends ou pour participer aux cortèges lors des mariages !

Il faut supprimer aussi les avantages pour les députés et qui ne se justifient pas, surtout que dans leur grande majorité, ils ne sont point dans le besoin puisqu’ils ont déjà une fonction et très souvent une activité privée bien lucrative : avocats, médecins, homme d’affaires… et après tout, ils se sont portés candidats par leur propre choix.

2 – La lutte contre la corruption:

Si une réelle volonté politique existe au sein de votre gouvernement, il ne faut pas hésiter à prendre les mesures EVIDENTES qui permettraient immédiatement de renflouer les caisses de l’Etat.

Pour commencer il faut appliquer la loi à tout contrevenant quel que soit son rang ou son appartenance politique ; demander des comptes aux personnes devenues subitement du jour au lendemain milliardaires sans avoir eu auparavant une quelconque activité très lucrative et qui investissent des sommes immenses dans l’immobilier, les «affaires», des flottilles de voitures de grand luxe, voire un jet privé ! Pour échapper au fisc et au contrôle, ils payent le plus souvent en cash (des milliards en liquide circulent dans les coffres de leurs voitures). Ils doivent justifier la provenance de ces fortunes miracles et les achats qui sont évidemment du blanchiment d’argent de provenance plus que douteuse ! Parmi ces personnes il y a, et vous le savez bien, de «très hauts personnages» qui sévissent depuis 2011…

En matière de santé, le trafic est quotidien. Il serait judicieux, à l’instar des pays développés, de créer le système de carte sanitaire électronique qui permet de stocker un dossier clinique unique informatisé où sera enregistré tout l’historique du patient, ce qui rend possible le suivi de chaque citoyen qu’il soit traité dans une structure publique ou privée. Ce système couplé à la traçabilité des médicaments est quasi infaillible. La Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) disposera de toutes les données concernant les frais et permettra ainsi de contrôler les abus et les tricheries fiscales.

Il convient, également, de généraliser le système informatisé, qui permettra de bien limiter les dégâts surtout au niveau des structures sensibles telles que les douanes, les contrôles fiscaux, les travaux publics, etc., où la corruption règne toujours.

Le système fiscal est à revoir entièrement car, actuellement, il permet et même encourage la tricherie et la corruption à cause des contrôles et surtout des redressements aléatoires abusifs et qui finissent par des «arrangements à l’amiable» bien évidemment au détriment de l’Etat…

3 – La restructuration de l’administration :

Bien qu’elle ne fût pas parfaite, notre administration a prouvé au lendemain de la «révolution» (le 14 janvier 2011, Ndlr) au moins le sérieux de la majorité des fonctionnaires puisque toutes les institutions ont continué à servir le citoyen. Cette administration, déjà surchargée en nombre de fonctionnaires, tend à s’écrouler depuis les inutiles recrutements «en masse» de «bras cassés» sans aucune formation et donc sans expérience. Elle est devenue une machine à retarder et à bloquer à cause de l’incompétence et de la corruption de certains agents.

Il convient de faciliter et simplifier les formalités administratives qui ne font que décourager bon nombre de jeunes entrepreneurs et de potentiels investisseurs étrangers et qui, par ailleurs, favorisent la corruption.

Ai-je besoin de vous parler des tracasseries subies par les exportateurs et les importateurs à cause des formalités douanières et de la gestion calamiteuse des ports ? Ce qui se passe au port de Radès, malgré les réformes introduites au système, est-il normal ??

Les appels d’offre sont traités si lentement qu’ils entravent la bonne marche des entreprises et il arrive même que les produits de haute technologie sont déjà obsolètes à la date de leur livraison…

La numérisation permettrait plus de transparence, d’économiser en paperasserie, et surtout un contrôle en aval plus efficace.

Vous devez également nous réconforter quant à notre sécurité en réorganisant les forces de l’ordre et surtout en remettant en place les services de renseignements qui sont une nécessité pour toute nation qui se respecte, car il ne faut pas oublier que contrebande et terrorisme font bon ménage !

Vous savez vous-même qu’il y a beaucoup à faire dans ce domaine.

4 – La restructuration des grandes entreprises étatiques :

Cette réforme dont on parle depuis longtemps doit passer par l’amélioration de la gouvernance et la nomination dans la direction de personnes du domaine bien compétentes et irréprochables. Pour ne citer que la Steg, la Sonede, la SNCFT et Tunisair.

Elle doit passer aussi par la suppression des privilèges, notamment la gratuité de la consommation de l’électricité et de l’eau pour les fonctionnaires et les agents qui en abusent. J’en connais un certain nombre qui font fonctionner en permanence 24h/24h le chauffage ou la climatisation selon les saisons. Il m’a même été rapporté que certains agents «prêtent» des raccordements aux voisins !!! Nous pourrions agréer au maximum une remise de 10% sur leurs factures.

On doit aussi reconsidérer les recrutements abusifs des fonctionnaires, des agents et des ouvriers. À titre d’exemple, à Tunisair, le nombre d’employés/avion est (avec un service médiocre) deux fois plus élevé que dans de grandes compagnies européennes, américaines et mêmes africaines.

Ne parlons pas des mines de phosphate où le recrutement est plus qu’abusif puisqu’on compte un nombre d’employés trois fois plus que nécessaire. Ajoutez à cela que bon nombre d’entre eux sont en grève pratiquement en permanence et entravent la production tout en étant rétribués !!

Monsieur le chef du gouvernement, en attendant la restructuration de l’administration et celle des entreprises qui demandent du temps, si vous mettez tout de suite en application les mesures qui permettraient de diminuer les dépenses de l’Etat et de vraiment lutter contre la corruption, je peux vous assurer que nous accepterons de consentir ce sacrifice que vous nous demandez.

Ceci dit, nous exigerons d’être informés de l’utilisation des fonds ainsi collectés avec un contrôle de la Cour des Comptes. Nous refusons des dépenses pour des raisons fallacieuses comme les indemnisations de certains qui auraient été emprisonnés pour soi-disant avoir voulu défendre leurs idées politiques alors qu’ils l’ont été pour avoir commis des actes terroristes et pour avoir tenté de commettre un coup d’Etat ! Ceci sans parler de ceux qui ont eu un exil doré…

Monsieur le chef du gouvernement, nous avons accompli notre devoir avec abnégation et avec des salaires juste corrects, sans avantages en nature, mais avec la fierté de contribuer à la continuité de l’édification et au développement de notre chère Tunisie moderne initiés par nos aînés et qui ont permis de la classer parmi les meilleurs pays émergents malgré certaines failles.

Alors, avec la déception de voir le recul que le pays accuse ces dernières années à cause de politiciens et d’administrateurs qui ont prouvé leur incompétence et, dont certains, sont aussi compromis avec les grands destructeurs de notre économie et de nos finances que sont les hommes d’affaires véreux et les contrebandiers, je ne vois pas pourquoi nous serions prêts à accepter de «payer la facture» à la place des principaux auteurs de cette déroute.

À la retraite depuis 2005, aujourd’hui avec la cherté de la vie et ne pouvant contracter un prêt bancaire au vu de mon âge, il ne m’est même pas envisageable d’acheter la plus petite des voitures comme bon nombre de mes semblables…

Alors, monsieur le chef du gouvernement, allez-y et ayez le courage d’agir avec la fermeté dont doit faire preuve un capitaine qui veut réellement, contre vents et marées, mener à bon port son bateau et éviter une mutinerie…

Ces derniers jours, un sentiment de scepticisme nous envahit car nous constatons des décisions contradictoires au sein de votre gouvernement vis-à-vis des mesures prises pour essayer de limiter les dégâts causés par le coronavirus ! Est-il normal que le «ministre» du culte refuse de fermer les mosquées où des centaines de personnes s’entassent alors qu’on interdit les grands rassemblements de sport et culturels comme l’ont décidé le ministre de la Santé et le ministre de l’Intérieur ?? Est-ce que vous n’avez pas osé froisser vos associés islamistes obscurantistes ou croyez-vous comme eux que la mosquée est protégée du virus qui ne pourra pas y pénétrer grâce à Dieu. Alors qu’en sera-t-il pour la décision de déterrer les dossiers «brûlants» bloqués depuis des années ??

Dans notre cas il s’agit d’un sauvetage pour éviter que notre pays finisse comme ‘‘Le bateau ivre’’, lé célèbre poème d’Arthur Rimbaud :

«Echouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient des arbres tordus avec des noirs parfums».

* Professeur en médecine.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.