L’épidémie du Coronavirus, une fois surmontée, servira, on l’espère, de crash-test et permettra peut-être de revenir à une bonne politique de prévention, à un système public de droit à la santé, de droit aux soins afin de garantir à chacun la «sécurité sociale».
Par Yassine Essid
Il n’y a plus de mondialisation heureuse. Hier encore on célébrait le déploiement des personnes, des biens, de l’activité économique et de l’argent au-delà des frontières nationales. La vie quotidienne d’une grande partie des habitants de la planète était devenue intimement liée à la globalisation des échanges, avec ses aspects bénéfiques considérables : l’explosion de l’activité touristique, l’utilisation croissante dans notre quotidien de produits issus de tous les pays, et en particulier des pays émergents, l’évolution de la stratégie des entreprises en fonction de leur implantation internationale et les répercussions positives que cela peut avoir sur l’emploi.
La mondialisation a aussi connu ses premiers inconvénients, parfois dramatiques. Rappelons-nous la crise financière de septembre 2008 aux Etats-Unis. Très localisée au départ, elle s’est propagée rapidement de Londres à Tokyo, ainsi que dans divers bureaux à travers le monde. La chute de Lehman Brothers avait entraîné avec elle la bourse américaine puis quelques semaines plus tard toutes les places boursières, enrayant brutalement la mécanique économique mondiale et contaminant, avec plus ou moins de force, la totalité des économies de la planète.
Dans cette libre circulation des hommes et des biens on a omis de mentionner celle des germes. Or l’histoire des fléaux funestes et ravageurs, tels que la peste et le choléra, nous apprend que les bactéries empruntent les routes du commerce. Ainsi, né en Chine, devenue le premier exportateur inondant la planète de ses produits les plus divers, le Coronavirus a contaminé le monde.
En guise remède, «la distanciation sociale» et les «gestes barrières»
La fulgurante propagation du Covid-19, un virus né d’un choix politique de l’organisation du monde, et une abominable épilepsie du temps qui, tout à coup, nous assigne à une résidence forcée, met la médecine aux abois et l’humanité en déroute.
Le virus, qui a institué une nouvelle géographie de la maladie, remet non seulement en cause notre organisation sociétale, mais notre arrogance scientifique et technique. On se retrouve ainsi à rechercher désespérément de nouvelles explications et à tester toute une série de médicaments. On cherche à connaître la vérité par intuition, on se passe des «trucs» qui ont bien fonctionné lors de précédentes épidémies de grippe mais qui n’ont aucun effet en cas d’aggravation de la présente maladie.
Inlassablement, les médecins testent, improvisent, combinent, mais sont réduits à présent aux mesures préventives, à des traitements prophylactiques par la désinfection, «la distanciation sociale», les «gestes barrières», le confinement et, au pire, au couvre-feu. Par ailleurs on nous invite à se laver les mains le plus souvent possible; on aère, on nettoie les bâtiments, on fait des fumigations.
Le malade n’est plus traité en fonction d’une grille d’application qui, à chaque maladie, fait correspondre un médicament, mais selon des faisceaux de preuves et d’associations concordants pour venir à bout du mal.
Devant l’énigme que constitue le Coronavirus, le patient devient alors, à chaque fois, un terrain d’essai de solutions et d’équipements divers, lourds et coûteux, en fonction de la forme que prend sur lui la maladie mais qui souvent ne tiennent pas lieu de traitement. Seule demeure en définitive la prévention. De l’atténuation de la crise dépend le degré de civisme de la population ou le degré d’autoritarisme des gouvernants.
L’inquiétude concerne la capacité du propre système hospitalier
Les pays pauvres, mal équipés pour dépister et combattre le nouveau virus, incapables de soutenir un arrêt prolongé des activités vitales, d’assister les victimes par une surveillance accrue et une prise en charge adaptée, comptent sur la fermeture d’espaces clos, donc foyers de contagion par concentration des miasmes contagieux.
Comme au Moyen-âge, plusieurs récits narrent l’épidémie dans des navires d’abord parfaitement saints qui deviennent peu à peu infestés. C’est la terre qui produit le miasme, mais la concentration de malades à bord entretient le germe. L’épidémie s’accroît encore quand les individus subissent l’imprégnation morbide par la promiscuité avec des personnes dites «asymptotiques» qui sont rapprochées.
L’inquiétude légitime aujourd’hui, au-delà des mises en garde du gouvernement et des décisions contraignantes destinées à réduire la contagion, concerne l’état de notre propre système hospitalier, sa capacité à accuser le choc, à circonscrire la diffusion du virus, à faire face au nombre croissant des personnes atteintes, à surmonter la surcharge des services et, à terme, en venir à bout de l’épidémie.
Depuis des décennies, nous avons assisté impuissants, souvent sidérés, au déclin progressif de notre système de santé. Pour réduire le déficit public, des coupes claires ont été opérées dans les projets d’investissements, dans les dépenses en personnel soignant compétent, dans les œuvres sociales, etc.
Aujourd’hui, l’hôpital est perçu comme une véritable «cours des miracles»; un espace de précarité dont l’engorgement est attribué au défaut d’accès à la médecine de villes : des files d’attente aux urgences, un personnel soignant désinvolte et constamment d’humeur déplaisante, le mépris des malades, la non-disponibilité des médicaments suite aux vols fréquents, la difficulté de pouvoir être pris en charge dans les services adéquats et dans les délais nécessaires, la désorganisation généralisée, l’hémorragie des médecins d’encadrement compétents qui voient ainsi leur identité professionnelle dévalorisée. Ce déficit majeur d’attractivité des hôpitaux est expliqué en termes de carrière mais aussi de qualité des soins, de vétusté de locaux, de manque d’hygiène et jusqu’aux instances internes qui n’ont plus aucun pouvoir d’autorité et de régulation.
Une politique médicale d’obédience néolibérale
L’accueil des populations les plus défavorisées et la mise en œuvre d’une politique économique d’obédience néolibérale, agressive en matière de réduction et de contrôle des dépenses, n’ont pour corollaire immédiat que le développement outrancier des cliniques privées ainsi que le racket des médecins libéraux qui pratiquent des dépassements d’honoraires régulièrement dénoncés et qui s’inscrivent dans une interpellation, restée sans suite, des pouvoirs publics.
Les services publics, qui sont le ciment de la société, se délitent sous nos yeux, remplacés par une communication résignée sur le mérite du marché. Le système de santé publique subit ainsi une privatisation rampante : la logique purement comptable à conduit ainsi à l’accroissement fulgurant des parts de marché des cliniques qui absorbent une très forte partie des dépenses de santé. Incapable d’assumer les frais de soins mais craignant d’aller à l’hôpital, qualifié souvent de «boucherie», on reporte les soins ou on y renonce pour des raisons financières. En réalité, l’on crée une situation où être malade va devenir un luxe.
L’Etat doit rejeter cette «nouvelle gouvernance de la santé», en empêchant que les lobbys des cliniques et leur personnel médical vorace n’accaparent un secteur longtemps contrôlé par la puissance publique. Cela signifie plus d’effectifs, meilleures rémunérations pour les médecins, et des établissements de santé qui ne soient pas engagés dans une logique financière incompatible avec l’intérêt collectif.
L’épidémie du Coronavirus, une fois surmontée, aura servi, je l’espère, de crash-test et permettra peut-être de revenir à une bonne politique de prévention, à un système public de droit à la santé, de droit aux soins afin de garantir à chacun la «sécurité sociale».
La régulation par le contrôle public, dans le domaine de la santé doit toujours l’emporter sur la régulation par les lois du marché.
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