Au commencement, cette déclaration du président de la République, Kaïs Saïed : «La Tunisie a tout ce qu’il faut pour construire des avions de fabrication 100% tunisienne, faite, le 4 mars, 2020, lors de l’inauguration du Salon international de l’industrie aéronautique et militaire à l’aéroport Djerba-Zarzis. Les mots du chef de l’Etat n’ont pas été du goût de beaucoup d’observateurs. Ces derniers y ont vu un projet utopique et poussé le cynisme jusqu’à s’en moquer sur certains médias.
Par Khémaies Krimi
À y regarder de près, le souhait de M. Saïed ne relève pas de la science fiction, et ce, pour deux raisons simples.
La première est qu’en sa qualité de chef d’Etat élu au suffrage universel, doté d’un pouvoir moral, il est de son droit et de son devoir de fouetter l’ego des Tunisiens, de les faire rêver, et surtout, de les faire sentir qu’ils peuvent être aussi ingénieux que les peuples des pays industrialisés. Car, selon lui, il suffit d’y croire. «Si on a une volonté dure comme l’acier, on peut dépasser toutes les contraintes et toutes les entraves», a-t-il insisté.
Encourager les ingénieurs à faire preuve d’inventivité est à saluer
Vu sous cet angle, le vœu du chef de l’Etat ne peut qu’être salué d’autant plus qu’il invite nos jeunes ingénieurs à se tourner vers l’avenir et à s’impliquer dans la 4e révolution industrielle, et partant, à ne plus regarder dans leur rétroviseur, le passé, certes glorieux, mais suranné et anachronique, de leurs aïeuls.
La deuxième raison est que, logiquement, Kaïs Saïed n’a osé faire une telle déclaration que sur la base de données qui lui ont été fournies par les experts et industriels de l’aéronautique dans notre pays.
À ce sujet, on peut dire qu’il existe une grande part de vérité dans la déclaration du chef de l’Etat en ce sens où la Tunisie est parvenue à développer, ces dernières années, une expertise intégrée appréciable dans l’industrie aéronautique, une expertise sophistiquée qui a permis d’attirer dans le pays d’importants investisseurs étrangers.
D’après Slim Fériani, ex-ministre de l’Industrie et des PME : «Il y a une quinzaine d’années, le secteur aéronautique était embryonnaire et exportait peu. Aujourd’hui, il compte 17.000 emplois et exporte, annuellement, pour plus de 10 millions de dinars tunisiens (MDT), à la faveur de l’implantation en Tunisie de grands groupes comme le constructeur aéronautique européen Airbus et la Corse composites aéronautiques (CCA), un des spécialistes du développement de pièces complexes en matériaux composites à destination de l’aéronautique».
La Tunisie spécialisée dans l’assemblage des avions légers
Mieux, le site Tunisie, fort d’une industrie aéronautique comptant 80 entreprises spécialisées dans la fabrication de composants d’avions légers et a tendance à se spécialiser dans l’assemblage des aéronefs monomoteurs quadriplaces, utilisés notamment dans le transport aérien, l’épandage, le divertissement, la publicité, l’inspection aérienne et la formation en pilotage d’avions.
La société Avionav, constructeur d’avions légers de deux à quatre places basée à Borjine (gouvernorat de Sousse), a exporté, depuis 2007, près de 40 avions vers l’Europe et le Moyen-Orient, d’après le directeur de la société, Fouad Kamel.
Toutes les composantes de l’avion, à l’exception du moteur, sont fabriquées dans les ateliers de la société à Borjine, a-t-il souligné, ajoutant que deux nouveaux modèles d’avions légers «Made in Tunisia» verront bientôt le jour.
Sur sa lancée, «Avionav a mis en place un nouveau programme d’expansion portant sur l’extension des ateliers de fabrication et le recrutement de nouvelles compétences, ce qui permettra de porter son effectif à 140 ingénieurs et techniciens et sa capacité de production à 80 avions légers par an à l’horizon 2026», a-t-il indiqué.
«Des pourparlers ont été lancés avec des avionneurs étrangers, notamment suédois, qui ont manifesté leur intérêt à coopérer avec Avionav pour la construction dans ses ateliers à Borjine des modèles d’avions légers de six et à douze places», a-t-il aussi révélé.
Dans cette même perspective, le constructeur canadien d’avions légers Dream Craft, spécialisés dans l’épandage de pesticides, est sur le point d’implanter une usine d’assemblage en Tunisie.
La zone industrielle de M’ghira sera spécialisée dans l’aéronautique
Encouragés par ces implantations, notamment, de celles d’Aerolia, un groupe d’une dizaine d’entreprises spécialisées dans le montage de tronçons (pointes d’avions) pour toute la famille de l’A320 (A320, A321, A319), et d’unités relevant de la CCA qui vient d’investir dans la zone industrielle de M’ghira, au sud de Tunis, 57 MDT, l’Agence foncière de l’industrie (AFI) a l’intention de spécialiser cette zone dans l’industrie aéronautique. C’est du moins ce que propose Souheil Cheour, son Pdg.
La France occupe la première place en tant que donneur d’ordre dans ce domaine en Tunisie avec 38 entreprises résidentes à capitaux 100% français. On peut citer parmi elles, Alcen, Zodiac, Safran et Thales. Ces entreprises emploient 90% de la main-d’œuvre totale du secteur aéronautique. La France est suivie de loin par l’Italie, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.
Cela pour dire que le souhait de Kaïs Saïed n’est pas aussi utopique qu’on le pense. Il est réalisable pour peu qu’on choisisse la niche qui convient le plus à nos capacités industrielles et à nos ressources humaines lesquelles doivent être super-qualifiées pour ce type d’industrie. Le seul grief qu’on peut formuler à l’endroit de la déclaration de Kaïs Saied c’est peut être quand il dit que nous sommes capables de «construire des avions de fabrication 100% tunisienne». Car il n’existe aucun pays au monde capable de fabriquer des avions, à hauteur de 100%, sur son propre territoire. Avec la globalisation, l’heure est, désormais, à la sous-traitance.
Donnez votre avis