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L’innovation industrielle au cœur de la crise du Covid-19 en Tunisie

Usine Consomed à Kairouan.

Dans l’article reproduit ci-dessous, le cabinet Oxford Business Group (OBG) passe en revue les mesures prises par le gouvernement tunisien pour contrer l’épidémie du coronavirus (Covid-19) et, surtout, souligne la réactivité des industriels tunisiens qui ont su adapter leurs lignes de production pour répondre aux besoins du pays en cette phase difficile.

Par Oxford Business Group

Le 8 avril, la Tunisie recensait 628 cas confirmés de Covid-19 et 24 décès, à l’heure où le bilan mondial s’élevait à 1,5 million d’infections et 88.000 morts.

Le pays a enregistré son premier cas le 2 mars, quelques jours seulement après le vote de confiance accordé par le Parlement au nouveau gouvernement du Premier ministre Elyes Fakhfakh, le 26 février.

Pour tenter de contenir l’épidémie, le gouvernement a annoncé le 4 mars la suspension des liaisons maritimes entre Tunis et le nord de l’Italie puis, le 9 mars, une réduction supplémentaire des liaisons aériennes, maritimes et du transport de marchandises avec le pays.

Le 12 mars, les établissements scolaires et universitaires ont fermé suivi le lendemain par une fermeture partielle des cafés, restaurants et discothèques, ainsi que la suspension des prières collectives, des conférences et des activités culturelles.

Les liaisons aériennes internationales ont été suspendues et les frontières fermées le 16 mars, et le 22 mars le président Kais Saied a ordonné un confinement total – interdisant aux habitants de quitter leur domicile, sauf pour des raisons médicales et pour acheter des produits de première nécessité. Initialement prévu jusqu’au 4 avril, il a depuis été prolongé jusqu’au 20 avril.

Afin de lutter contre les retombées économiques et sociales de la pandémie, le Premier ministre Fakhfakh a annoncé le 23 mars un plan d’aide de 2,5 milliards de dinars (860,3 millions de dollars). Parmi les mesures prévues, on peut citer un report du paiement des dettes fiscales, un report du paiement des impôts pendant trois mois pour les petites et moyennes entreprises, ainsi que la mise en place d’une ligne de financement de 300 millions de dinars (103,2 millions de dollars) pour soutenir les personnes mises au chômage technique et de 150 millions de dinars (51,6 millions de dollars) pour apporter une aide financière aux familles démunies.

Alors que la plupart des activités économiques restent à l’arrêt, certaines entreprises à travers le pays se mobilisent pour soutenir les efforts déployés par le gouvernement afin de lutter contre la pandémie et répondre aux besoins du secteur de la santé.

Tirer profit d’un secteur industriel bien établi

Disposant d’une base industrielle solide et variée, et comptant plus de 5300 entreprises et 522.000 employés, la Tunisie est bien armée pour satisfaire les besoins du pays en produits manufacturés, notamment ceux qui sont destinés au secteur de la santé.

«Un certain nombre d’entreprises dont celles étrangères ont d’ores et déjà contribué à l’effort national de lutte contre le Covid-19. Ces actions ont pris la forme de dons ou encore de réorientation de leurs appareils productifs afin de fournir du matériel et des équipements médicaux au secteur de la santé», a déclaré Abdelbasset Ghanmi, directeur général de l’Agence de promotion de l’investissement extérieur (FIPA), à OBG. «De telles initiatives illustrent clairement le fort potentiel du tissu industriel tunisien et, plus généralement, sa volonté de réunir le secteur public, le secteur privé et la société civile pour apporter des réponses à la crise», a-t-il ajouté.

L’une des entreprises participant à cet effort est Consomed, un fabricant de produits médicaux qui a doublé son temps de travail afin de produire 50.000 masques par jour.

Située dans le gouvernorat de Kairouan, à 160 km au sud de la capitale Tunis, l’entreprise a attiré l’attention internationale fin mars lorsque 150 de ses employés ont accepté de se confiner dans les locaux de l’usine, où des dortoirs ont été installés, dans le cadre des efforts déployés afin de lutter contre la propagation du virus et d’assurer la continuité des activités.

L’augmentation de la production est particulièrement importante dans la mesure où le ministre de la Santé Abdellatif Mekki a annoncé le 6 avril que le port de masques de protection serait obligatoire pendant et après la période de confinement.

Comptant plus de 1600 usines textiles sur l’ensemble de son territoire, qui représentent plus de 30% des emplois du secteur manufacturier, la Tunisie est indéniablement bien placée pour relever le défi de la demande accrue.

«Le secteur du textile tunisien possède le savoir-faire et la capacité qu’il faut pour adresser les besoins du système de santé en termes de vêtements de protection et de masques», a déclaré Kamel Zarrad, Pdg de Sartex, à OBG.
Située dans le gouvernorat de Monastir, l’entreprise tunisienne qui se spécialise dans la production de produits finis en denim, a converti une partie de sa ligne de production pour fabriquer des masques de protection.
«Comme la plupart des entreprises, nous opérons actuellement à capacité réduite. La relance du secteur devrait se faire en plusieurs phases, tout en adhérant à des mesures strictes de santé et de sécurité», a ajouté Zarrad.

Masques de protection imprimés en 3D.

Miser sur la technologie et les compétences locales

Forte de ses succès dans le secteur industriel, la Tunisie a également été saluée ces dernières années pour ses investissements dans des segments à forte valeur ajoutée tels que l’électronique, l’ingénierie et la technologie, dont bon nombre contribuent désormais la lutte contre le Covid-19.

À Béja, dans le nord du pays, des ingénieurs de la société allemande Kromberg & Schubert, spécialisée dans le câblage automobile, ont développé des visières de protection grâce à la technologie d’impression 3D. L’entreprise a ainsi pu produire environ une trentaine d’unités en utilisant uniquement des matières premières et équipements existants, et dont elle a fait don à l’hôpital régional de Béja.

De même, en collaboration avec le ministère de la santé, la Fondation Orange soutient six FabLabs Solidaires à Tunis, Sfax et Gabès, qui s’attèlent à fabriquer des visières de protection pour le personnel de santé avec des machines de découpe laser.

À elle seule, la FabLab de Sfax, Djagora, fabrique 1500 visières quotidiennement depuis le 20 mars

Les FabLabs Solidaires d’Orange relèvent d’un programme dédié aux jeunes de 12 à 25 ans qui sont en rupture avec l’enseignement classique, et leur offre l’opportunité de développer des compétences numériques et techniques.

Autre initiative de soutien du personnel médical, le fournisseur allemand de composants automobiles Dräxlmaier Tunisie a fait don à l’hôpital Abderrahmen Mami de Tunis d’un robot fabriqué localement afin d’aider les patients atteints du Covid-19 par le biais de la télémédecine.

Baptisé Veasense et produit par la start-up tunisienne Enova Robotics, le robot permet au personnel de santé de l’hôpital d’effectuer un diagnostic préliminaire à distance et de contrôler l’état des patients sans contact physique.

Enova Robotics est également à l’origine d’une autre innovation aidant le pays dans son combat contre le Covid-19.

Ayant fait sa première apparition dans les rues de Tunis le 24 mars, le robot PGuard, un drone terrestre, a été acquis par le ministère de l’Intérieur afin de faire respecter les règles de confinement actuellement en vigueur dans le pays.

L’appareil, contrôlé à distance par des officiers tunisiens, comporte des caméras infrarouges et thermiques, un système audio, un GPS, et un système d’alarme lumineux et sonore qui permet aux officiers de contrôler les papiers d’identité des habitants et de diffuser des avertissements audio à destination des contrevenants aux règles du confinement.

Perspectives d’avenir

Les perspectives économiques futures de la Tunisie dépendront en grande partie de sa capacité dans la lutte contre le Covid-19 de miser sur ses atouts – notamment sa main d’œuvre compétente et qualifiée – ainsi que son pouvoir de remettre sur pied son activité économique.

«La Tunisie doit s’atteler à mettre en place une stratégie solide pour le post-confinement afin que les entreprises puissent reprendre progressivement le travail, en toute sécurité», a déclaré Wissem Badri, le directeur général de Kromberg & Schubert Tunisie, à OBG. «Ceci est d’autant plus important pour les industries exportatrices, comme le segment des composants automobiles, en particulier lorsque les activités économiques et la demande internationale de produits manufacturés tunisiens repartiront à la hausse», a-t-il ajouté.

Le retour au travail en Tunisie s’accompagnera manifestement d’un certain nombre de changements, surtout dans l’application des mesures de santé et de sécurité. Ceci nécessitera un ajustement des comportements face à la situation ainsi qu’une sensibilisation importante aux précautions à adopter sur le lieu du travail ainsi que pendant les déplacements depuis et vers le travail.

L’économie tunisienne peine à retrouver son niveau de croissance d’avant 2011, avec une évolution annuelle moyenne du PIB de l’ordre de 1,8% entre 2011 et 2019, contre 4,4% entre 2005 et 2010.

Bien que le niveau des investissements ait évolué à la hausse au cours de ces quelques dernières années et que le pays ait introduit des initiatives encourageantes comme la Loi Transversale et la Startup Act, la Tunisie aura aussi comme défis d’adresser un certain nombre de domaines prioritaires comme la pression qui s’exerce sur la dette publique et les réserves de changes ainsi que la dévaluation du dinar tunisien.

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