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Il était une fois un marchand de tapis… en blouse blanche

Au moment où le Covid-19 ravage le monde et sévit en Tunisie, un «mandarin» à la tête d’une clinique luxueuse, fruit d’une spéculation juteuse, dit-on, marchande au prix fort des lits de réanimation mis à la disposition du ministère de la Santé. De quoi faire rougir Hippocrate… de honte et de colère.

Par Farouk Ben Miled *

Revendiquant aussi sans aucune pudeur son rôle de commerçant avant celui de médecin, et son affiliation à l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica) avant celle du Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom), oubliant ainsi le serment qui le lie à ce métier.
Je ne vous nommerai pas toubib, d’autres l’ont déjà fait.

C’était hier, toubib, le lendemain du 9 de ce mois d’avril, mais sans doute vous ne le saviez pas, qu’au même jour de l’année 1938, des centaines d’hommes libres, accompagnés d’étudiants zitouniens, ont été trucidés et estropiés par la troupe.

Ils l’ont fait pour que vous et moi passions du statut de sujet de Son Altesse Ahmed Pacha Bey Possesseur du Royaume de Tunis, à celui de citoyen d’une jeune République Tunisienne.

Ce jour-là toubib, Ahmed Ben Miled, le médecin de Halfaouine, a ramassé avec l’aide des riverains, hommes et femmes de bonne volonté, 35 de ces blessés sanguinolents sur les pavés de Bab Souika. Pendant trois jours, il les a pansés, soignés, hébergés et nourris pour les soustraire à la police. Ses propres draps réduits en bandages, ceux-ci venant à manquer, il a pu ainsi, avec l’aide de sa femme, contenir les hémorragies. Voilà ce qu’on appelle une blouse blanche.

Ce monsieur, toubib, n’a jamais rien demandé et était fier d’avoir respecté son code déontologique, celui justement que vous avez certainement oublié.

Le pouvoir, avec cette ingratitude qui lui colle à la peau, n’y a même jamais fait allusion. Comme toujours il n’y en avait que pour lui.

Depuis, cérémonies et commémorations de cette date où il n’a jamais été invité, on ne voyait que les opportunistes que vous avez servis jusqu’ici, pour être là où vous êtes.

Toubib, si vous avez le moindre doute sur ces faits que vous ne connaissez sûrement pas, et ça je peux le comprendre, allez faire un tour à titre salutaire du côté de Bab Souika. Ne craignez rien, personne ne vous reconnaîtra. Eh oui, toubib, le temps où les couilles avaient encore un sens est parti.

Cher Hippocrate **, je suis désolé, avec ce toubib là, tu as raté ton coup !

* Architecte D.P.L.G.

** «Père de la médecine», avant vécu au IVe siècle av. J.-C., dont le serment est traditionnellement prêté par les médecins avant de commencer à exercer. Nous reproduisons ci-dessous ce serment que beaucoup de nos praticiens, à commencer par le toubib ayant inspiré ce billet, ont tendance à oublier…
«Je jure par Apollon, médecin, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin que je remplirai, suivant mes forces et ma capacité, le serment et l’engagement suivants :

Je mettrai mon maître de médecine au même rang que les auteurs de mes jours, je partagerai avec lui mon savoir et, le cas échéant, je pourvoirai à ses besoins; je tiendrai ses enfants pour des frères, et, s’ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. Je ferai part de mes préceptes, des leçons orales et du reste de l’enseignement à mes fils, à ceux de mon maître et aux disciples liés par engagement et un serment suivant la loi médicale, mais à nul autre.

Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m’abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion; semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif. Je passerai ma vie et j’exercerai mon art dans l’innocence et la pureté.

Je ne pratiquerai pas l’opération de la taille, je la laisserai aux gens qui s’en occupent.

Dans quelque maison que j’entre, j’y entrerai pour l’utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur, et surtout de la séduction des femmes et des garçons, libres ou esclaves.

Quoi que je voie ou entende dans la société pendant, ou même hors de l’exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a jamais besoin d’être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas.

Si je remplis ce serment sans l’enfreindre, qu’il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais des hommes; si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire!»

Traduction du grec antique en français par Émile Littré.

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