Face au dénigrement redondant du droit de Djerba à un traitement égalitaire, à la politique discriminatoire de deux poids deux mesures dont l’île est victime, prônée parfois sans gêne par certains acteurs du gouvernorat de Medenine, l’heure n’est-elle pas à la remise en cause de cette dépendance institutionnelle et administrative, fort accablante et lourdement pénalisante pour Djerba et sa population cosmopolite ?
Par Naceur Bouabid *
La scène révoltante de ces dizaines de pseudo médecins, infirmières et infirmiers rassemblés devant la porte du CHU de Médenine, a ressuscité le souvenir non moins douloureux de la sempiternelle crise des déchets vécue par le tout Djerba depuis 2013.
À l’époque, des énergumènes d’une autre trempe, issus vraisemblablement du même moule, faisaient obstruction, des semaines durant, aux engins de l’Agence nationale de gestion des déchets (Anged) pour leur interdire l’accès à la décharge contrôlée de Bouhamed.
Cette décharge est régionale et toutes les délégations du gouvernorat en ont droit à l’exploitation, hormis celles de Djerba, sous prétexte qu’elle en dispose d’une à Guellala, alors sévèrement endommagée et hors d’état d’usage depuis les événements sanglants du 6 octobre 2013. Il n’était question que d’un recours provisoire pour débarrasser les rues, les quartiers, la campagne de l’île des ordures amoncelées et soulager une île sinistrée et une population meurtrie.
Ils faisaient la sourde oreille, insensibles aux supplications de beaucoup de représentants de la société civile de l’île, et prenaient goût, en revanche, à crier haut et fort, cyniquement, effrontément et sans scrupules «Dégage déchets Djerba ! Gardez-les chez vous !».
La médiocrité humaine dans toute son ampleur
Aujourd’hui encore, dans cette même contrée, l’inhumanité est de nouveau au rendez-vous, la bassesse et la médiocrité humaines sont on ne peut manifestes. Au lieu d’assister un malade en détresse, présentés jusqu’à chez eux, sous leurs yeux aveuglés par la rancune, ce personnel médical et paramédical de la dernière heure, indigne du noble statut qu’ils prétendent porter, ont préféré mobiliser leurs efforts, dans une promiscuité incompatible avec l’urgence du moment, pour faire obstruction à l’ambulance portant le malade et lui interdire l’accès à l’hôpital. Et de nouveau, surgit la formule usée et désuète, criée avec la même véhémence, la même rancœur «Dégage Corona ! Gardez vos malades chez vous !».
Pourquoi autant d’aversion, de rage, de haine ? Pourquoi, chaque fois que Djerba est dans un besoin pressant de la solidarité de la région à laquelle administrativement elle appartient, dans un moment critique de détresse, ne récolte-t-elle que négligence, que rejet et malédiction ? Est-elle vouée à subir ingratement ce sort réducteur, dans une région qui lui est constamment hostile, semée d’embûches de toutes sortes, et qui ne lui voue que dénigrement et rejet?
Ici, paradoxalement, à ce même moment, des concitoyens rapatriés dans la nécessité d’être placés en quarantaine sanitaire ont été orientés vers Djerba qui les a accueillis sans discernement d’appartenance ou d’une quelconque autre considération mesquine. D’autres sont en phase de l’être. Les pouvoirs publics locaux et la société civile se démènent tous azimuts pour les assister, avec dévouement et sens du devoir, et leur apporter le soutien et le réconfort à la mesure des moyens en possession.
Fidèle à sa vocation millénaire d’île accueillante, féconde de générosité, tolérante à souhait, son cosmopolitisme ambiant en apporte la preuve, Djerba n’a jamais dérogé à cette règle d’or, ni trahi cette vocation. Sa population demeure attachée à ces principes de vie et de conduite, respectueux des valeurs et des devoirs de citoyenneté, sans populisme, sans fanfaronnade, et dans la discrétion.
A quand une remise en cause du système administratif?
Face à ce dénigrement redondant du droit de Djerba à un traitement égalitaire, à ce favoritisme exacerbant pratiqué depuis belle lurette au profit des autres délégations au détriment de celles de Djerba, à cette politique discriminatoire de deux poids deux mesures devenue désormais coutumière, prônée parfois sans gêne par certains acteurs régionaux, l’heure n’est-elle pas à la remise en cause de cette dépendance institutionnelle et administrative fort accablante et lourdement pénalisante pour Djerba et sa population cosmopolite ?
Une réflexion rationnelle, objective et réaliste devrait être décidée et menée pour revoir le système de fonctionnement administratif et institutionnel qui n’est plus pour convenir, qui n’est plus pour être adapté à Djerba et aux contraintes que son insularité exige. Son statut d’île fait d’elle, comme de toutes les autres îles, une entité géographique spécifique devant faire l’objet de traitements spécifiques, sans commune mesure avec les territoires continentaux.
Attribuer davantage d’autonomie institutionnelle et administrative à Djerba ne pourra qu’assurer une meilleure gestion de son territoire, de ses ressources, de ses écosystèmes, de sa biodiversité, dans un souci majeur de développement durable. En aucun cas, une telle requête ne pourra et ne devra être interprétée comme une entorse à l’ordre établi dans le pays.
Il suffit de voir ce qui se passe ailleurs, dans d’autres pays pionniers en matière de décentralisation et de gouvernance locale, à l’instar de l’Italie, la France, le Portugal, l’Espagne ou encore le Danemark, qui ont reconnu, constitutionnellement, les spécificités de leurs îles respectives qu’ils ont dotés d’un statut spécifique leur conférant une autonomie de décision et de gestion de leurs territoires.
* Acteur de la société civile et ancien président de l’Association de sauvegarde de l’île de Djerba.
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