Contrairement à ce que l’on a prétendu, la Tunisie n’a pas pris de mesures précoces, comparativement aux Etats Unis, alors que la pandémie du coronavirus (Covid-19) commençait déjà à faire rage en Europe, mais, tout compte fait, elle n’a pas à rougir de sa gestion d’une catastrophe toujours annoncée.
Par Dr Mounir Hanablia *
Depuis le début de l’apparition du Covid-19, la science, en particulier la médecine, est réapparue plus que jamais comme un enjeu politique de première importance. Avec l’apparition de cette source pathogène très contagieuse de virus, et le développement d’une pandémie mondiale aux répercussions économiques et sociales immenses, le premier devoir d’un Etat quelconque, longtemps occulté par les effets de la mondialisation et des traités internationaux, est redevenu ce qu’il aurait dû toujours être, celui de protéger avant tout sa propre population.
Mais avec l’avènement de la démocratie, son souci a aussi été de convaincre sa propre population du bien-fondé des mesures prises pour la protéger, autant pour obtenir une coopération sans laquelle aucun succès n’est possible, que pour la réalisation d’ambitions politiques toujours prégnantes chez ses serviteurs, lors de futures échéances politiques.
Le comportement du président américain Donald Trump, durant cette pandémie, a fort bien démontré que les motivations électorales n’en étaient, moins que jamais, absentes, même quand il eût été obligé de s’en remettre aux experts.
Le gouvernement tunisien plutôt lent dans la détente
En Tunisie, le discours de persuasion de l’Etat, à travers les écrits et les opinions de ceux qui s’en sont faits les vecteurs, quelles qu’eussent été leurs motivations, personnelles ou par conviction, n’a pas dérogé à la règle, avec cependant certaines variantes le rendant caractéristique.
Durant la phase de l’apparition de la pandémie en Chine, survenue pendant les négociations, qui se sont révélées ardues sur la formation du gouvernement issu des dernières élections tunisiennes, le souci principal d’un chef du gouvernement en fin de parcours depuis l’effondrement de ses ambitions électorales, Youssef Chahed, était plutôt d’influencer sur le choix de son successeur, le chef de l’Etat fraîchement élu, devenu l’arbitre de la situation après le rejet du candidat du parti Ennahdha , Habib Jemli.
Il a fallu l’apparition des premiers cas dans le nord de l’Italie pour que le ministre du Tourisme tunisien, René Trabelsi, bien informé, tire la sonnette d’alarme sur la nécessité de mettre fin aux communications aériennes et maritimes avec ce pays, sans pour autant être écouté.
La ministre de la Santé de l’époque, Sonia Ben Cheikh, fort convaincante dans la forme mais pas sur le fond, avait été plus soucieuse d’expliquer les causes du déficit financier de l’hôpital public que la teneur des mesures prises pour endiguer ce qui était alors considéré, il faut bien l’avouer, comme une nouvelle grippe saisonnière, ou à la limite, une grippe porcine qui à l’instar de celle au H1N1 disparaîtrait dans quelques semaines.
Le discours du nouveau chef du gouvernement, Elyes Fakhfakh, avait plutôt porté sur des considérations financières, fiscales, et salariales, situant nettement ses priorités. C’est quand les Etats-Unis d’Amérique eurent décidé d’interrompre les liaisons aériennes avec l’Europe, et que les premiers films en provenance de Wuhan firent leur apparition, que le gouvernement tunisien fraîchement intronisé prit la pleine mesure du danger et commença à appliquer des mesures significatives de prévention contre la pandémie.
Cette décision fut donc politique; il eût été inconcevable que dans la lutte planétaire qui s’engageait, la Tunisie fût taxée au mieux de mollesse, au pire de constituer un foyer de maladie.
La Tunisie n’a pas vraiment pris de mesures préventives précoces
Il convient de le rappeler maintenant, alors que les panégyristes de l’actuel ministre de la Santé, Abdellatif Mekki, certains parmi eux se drapant dans leurs dignités d’experts, n’ont cessé, depuis le début, de diffuser un flot ininterrompu de contre-vérités, la première mettant en exergue des capacités exceptionnelles de gestion de la pandémie, qu’ils semblent être les seuls à avoir perçues.
Contrairement à ce que l’on prétendrait plus tard, la Tunisie n’a pas pris de mesures précoces comparativement aux Etats Unis, alors que la pandémie commençait déjà à faire rage en Europe. Il est néanmoins vrai qu’en les prenant, et contrairement aux Américains, elle a rapidement évolué vers la nécessité du confinement en tenant compte du caractère dramatique de la situation en Italie, le grand voisin du nord, et de l’indiscipline du peuple tunisien. Et elles ont au début été libérales, conformément à une approche démocratique, comptant sur la conscience et le patriotisme des citoyens.
Mais les autorités, après deux semaines, ont dû déchanter lorsqu’il fût apparu que les personnes de retour d’Europe et censées demeurer enfermées chez elles ne respectaient pas les nécessités du confinement.
Avec l’instauration des mesures autoritaires, dont le cas chinois avait commencé à démontrer toute l’efficacité, et au bout d’un peu plus d’une semaine de confinement imposé à l’ensemble du pays, et généralisé, plus ou moins respecté avec l’introduction du couvre-feu, devant l’augmentation modérée des chiffres de personnes atteintes, et face à la menace de désobéissance civile à grande échelle qui commençait à poindre du nez, et aux bataillons d’économistes soulevant les dangers encourus par l’économie du pays, les mêmes zélateurs ont commencé à avancer l’hypothèse, qu’après tout, la guerre contre le Covid-19 pouvait avoir d’ores et déjà été gagnée, en faisant au passage l’éloge de l’inauguration d’une unité anti-Covid, tout en passant sous silence les entorses aux nécessités du confinement commises dans l’enceinte du même hôpital, pour des raisons politiques, par ceux-là mêmes qui le préconisaient.
Mais face aux protestations que les tenants de ce blitz médical ont provoquées alors que la situation dans le monde commençait à évoluer vers le pire, ils ont reculé pour expliquer ce qui pouvait fort bien arriver en Tunisie, compte tenu des développements inquiétants survenus en Espagne, en mettant en exergue et en termes savants, et statistiques à l’appui, les différents aspects pathologiques de la nouvelle maladie, et les problèmes graves qu’elle pouvait susciter.
On est ainsi passé de la phase laudative de l’information, mettant en exergue l’efficacité de l’Etat, le patriotisme, et la nécessité de rester unis, à celle technique de l’expert, reprenant pour les besoins de la cause les arguments et les informations en provenance de l’OMS.
Cela mérite d’être souligné parce que c’est l’OMS, une organisation internationale nécessaire pour la sécurité biologique de la planète, dont cette même expertise, dénoncerait lors de la phase ultérieure de l’information, qu’on appellerait celle de la rupture, toutes les supposées insuffisances lors de la pandémie au Covid-19.
Il fallait, en effet, trouver un responsable aux mesures de confinement mettant à mal l’économie du pays que le gouvernement avait imposées, au nom du principe de précaution, mais dont la nécessité fut démentie par la modicité des chiffres de contamination et de mortalité. Il s’est même avéré qu’en phase de pandémie mondiale, les chiffres officiels de mortalité en Tunisie avaient diminué, selon le ministère des Affaires sociales, et même de moitié, relativement à ceux des affiliés des caisses de prestations sociales.
Le gouvernement tunisien n’a pas à rougir de sa gestion de la pandémie
Pour ceux qui mettraient en doute la réalité de ces chiffres, il serait difficile de faire croire qu’un gouvernement acceptât de se couvrir de ridicule en prenant de coûteuses mesures dans une bataille qui finalement n’a pas eu lieu, faute d’adversaires.
Qu’à cela ne tienne; on aurait ainsi fait l’économie de 25.000 malades selon ces mêmes experts et on affirmerait plus tard que l’OMS n’avait jamais préconisé de confinement. On veut bien le croire. Mais quelle que soit la pertinence des arguments avancés, le gouvernement tunisien n’a nullement à rougir de sa gestion de la pandémie. Il a démontré que son souci primordial avait été avant tout de préserver la vie de sa population. Les universités ont révélé une pépinière de cerveaux capables de concevoir et construire des appareils aussi sophistiqués que des robots et des respirateurs. Et il est vrai que face à une maladie dont les experts ne savaient rien, la seule arme efficace dont il disposât était celle qui a toujours fait ses preuves lors des épidémies depuis les âges anciens, le confinement.
En revanche, la honte ne peut que retomber sur ceux qui essaient de justifier des choix politiques par des arguments scientifiques, quitte à charger un organisme international unanimement respecté dont la Tunisie risque d’avoir besoin à l’avenir, et plus tôt qu’on ne le pense.
En 2009, l’épidémie de H1N1 avait constitué un flop épidémiologique monumental dont peu d’Etats, auteurs d’achats massifs et inutiles de vaccins, étaient prêts à refaire l’expérience. On comprend mieux dans ces conditions la prudence qui a été celle de l’OMS dans la gestion de l’actuelle pandémie, elle lui vaut désormais de servir d’exutoire à l’impéritie de nombreux gouvernements.
Si aujourd’hui, la sortie du confinement est décidée en Tunisie, c’est d’abord parce que , mise à part la première semaine du couvre-feu, les mesures imposées n’ont jamais été que partiellement suivies, et qu’il est temps d’en prendre d’autant plus acte que, alors que l’économie s’effondre, certains blocs parlementaires ont essayé de profiter de la vacance de l’opinion publique, occupée à survivre, pour sceller une alliance aux contours flous avec deux pays ayant soutenu il n’y a pas si longtemps une entreprise terroriste de grande ampleur au Moyen-Orient et en Libye.
Le retour à une situation normale est donc issu d’un choix politique même si des circonstances médicales inespérées et selon nos experts, inexplicables, le rendent à priori licite. Néanmoins, s’il ne faut nullement nier l’ampleur de l’apport et la compétence de certains experts, tels les docteurs Rim Abdelmalek ou Nissaf Ben Alaya, pour éclairer l’opinion publique et conseiller l’autorité politique sur les mesures les plus adéquates, il demeure nécessaire de savoir si elles ont bien été consultées sur la levée d’un confinement qui n’a il est vrai presque jamais été effectivement respecté.
L’avenir? On aurait aimé qu’on nous en esquisse, ne serait-ce que légèrement, les contours. Malheureusement, d’aucuns parmi les experts, adeptes réguliers du clavier depuis le début de la pandémie, qui se présentaient il n’y a pas si longtemps comme des thuriféraires attitrés du ministre Abdellatif Mekki, se bornent à nous écrire, maintenant, que l’heure de la vérité a sonné. Un cartomancien eût sans doute mieux fait l’affaire.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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