Près de 3 mois après la formation du gouvernement par Elyes Fakhfakh, qui, malgré les pressions d’Ennahdha, avait choisi une coalition n’incluant pas Qalb Tounes, les dirigeants de ces 2 partis n’ont pas attendu plus longtemps que cela pour revenir à la charge et ressortir le disque du «gouvernement d’union nationale». Reste à savoir pourquoi Ennahdha tient-il tant à avoir le parti de Nabil Karoui, poursuivi en justice dans des affaires de corruption et de blanchiment d’argent, à ses côtés au gouvernement…
Par Cherif Ben Younès
Lors de son intervention à l’émission Midi Show, sur Mosaïque FM, ce lundi, 11 mai 2020, le dirigeant de Qalb Tounes, Oussama Khelifi, est revenu sur l’attachement de son parti à un gouvernement d’union nationale où il serait représenté.
Le député estime que le gouvernement actuel est «orphelin», au vu de la faiblesse de sa ceinture parlementaire, et que les différends politiques entre les partis dont il se compose l’ont fragilisé encore plus, faisant allusion aux conflits entre les dirigeants d’Ennahdha d’un côté et, de l’autre, ceux d’Echaâb et à un degré moindre ceux d’Attayar.
Ennahdha et Qalb Tounes, bras dessus, bras dessous…
La solution que propose Oussama Khelifi, qui consiste à intégrer son parti au gouvernement, ne semble toutefois pas être la meilleure pour résoudre «la crise politique» actuelle, comme il l’a appelée. Elle devrait même aggraver la situation, car elle ajouterait une nouvelle source potentielle de conflits à ce gouvernement, notamment parce que le président de son parti, Nabil Karoui, n’a toujours pas réglé son dossier judiciaire et qu’il fait encore l’objet d’une affaire de corruption, ainsi d’ailleurs que son frère et associé Ghazi Karoui, député Qalb Tounes, quasi invisible sous la coupole du palais du Bardo. Alors que l’un des objectifs essentiels annoncés par Fakhfakh est de justement combattre la corruption.
Ce n’est visiblement pas là le problème d’Ennahdha qui, depuis qu’il a goûté aux douceurs du pouvoir, en entrant au gouvernement en 2012, est devenu très soluble dans la corruption et semble même apprécier la proximité des gens louches.
Souvenons-nous aussi des déboires judiciaires, non encore résolus, du gendre de son président Rached Ghannouchi, l’ex-ministre des Affaires étrangères Rafik Abdessalem Bouchlaka (affaires dites du « Sheratongate » et du « Don chinois »).
Une manœuvre de déstabilisation cousu de fil blanc
Par ailleurs, avec une éventuelle entrée de Qalb Tounes, on devrait s’attendre à ce qu’il y ait, définitivement, deux clans au sein du gouvernement, puisque Ennahdha trouverait, dans ce cas, enfin à ses côtés (et sous sa coupe) son (vrai) allié et pourrait ainsi défier plus confortablement Echaâb et Attayar. On aurait un gouvernement divisé en 2 et cela consoliderait inévitablement la crise politique dont parle M. Khelifi.
Ennahdha en est évidemment conscient et espère, vraisemblablement, pousser Attayar et Echaâb, deux partis jugés peu accommodants, vers la sortie en faisant entrer Qalb Tounes au gouvernement, même si le prétexte présenté manque cruellement d’originalité, puisque la carte de l’union nationale a déjà été jouée et a connu l’échec, il y a quelques mois.
Le scénario espéré par Ennahdha et Qalb Tounes paraît tout de même peu probable, notamment en raison de la présence d’Elyes Fakhfakh à la tête du gouvernement. En effet, ce n’est un secret pour personne que s’il y a un parti auquel ce dernier tient, dans le gouvernement, c’est bien Attayar.
Qu’il le sacrifie au profit de Qalb Tounes et au risque de créer un conflit de plus, avec le président de la république, Kaïs Saïed, cette fois, serait bien étonnant à l’heure actuelle.
Avis de tempête donc, et on doit en remercier… Ennahdha, un parti toujours à la manœuvre, jamais pour le bien du pays, mais souvent pour son malheur.
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