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Israël-Palestine : Quel avenir pour le plan de paix de Trump ?

Après des mois d’impasse politique et l’organisation répétée d’élections parlementaires, Israël a finalement formé un gouvernement d’unité. Il est organisé autour de deux personnalités : le Premier ministre Benyamin Netanyahou, chef du parti Likoud (aile droite), et Benny Gantz, chef du parti bleu et blanc (centre). Quelles sont les bases de cette formule de partage du pouvoir? Quelles implications cette situation aura-t-elle sur la scène régionale? Peut-on parier sur une stabilité gouvernementale et sa viabilité durant la crise du coronavirus dans la région ?

Par Roland Lombardi *

Après seize mois d’une crise politique majeure et trois scrutins législatifs, puis face au drame sanitaire et économique, Benyamin Netanyahou, le chef de la droite israélienne, soutenu par les extrêmes, a conclu – à la surprise générale -, le lundi 20 avril, avec son principal adversaire politique Benny Gantz, le leader de l’opposition centriste et surtout son pire ennemi, un pacte pour la constitution d’un gouvernement d’«urgence nationale».

Sans le coronavirus, le drame sanitaire et la tragédie socio-économique vers laquelle se dirige l’Etat hébreu, avec un million de chômeurs (le chômage partiel n’existe pas en Israël) et les prévisions inquiétantes de faillites d’entreprises, l’ancien chef d’état-major n’aurait sûrement jamais accepté ce pacte avec le diable.

Cet accord, qui devrait durer 3 ans, a été signé sous les auspices du président Reuven Rivlin, qui implorait depuis des mois les deux farouches adversaires de réconcilier les deux Israël que chacun incarne.
Il est vrai que dans le contexte dramatique actuel, une quatrième élection était clairement inenvisageable et surtout n’aurait jamais été supportée par la société israélienne.

En attendant, Benny Gantz sera donc Premier ministre suppléant et également ministre de la Défense. Un autre cadre du parti Bleu-Blanc, Gabi Ashkenazi, lui aussi ex-chef d’état-major, se voit attribuer le poste de ministre des Affaires étrangères. Le ministère de la Justice sera également dirigé par un centriste. Par ailleurs, Gantz a obtenu pour ses alliés travaillistes le portefeuille des Affaires sociales qui revient à Itzik Shmuli et celui de l’Economie à Amir Peretz. De fait donc, le centre et la gauche vont ainsi cohabiter avec la droite.

D’après l’accord entre les deux hommes, dans 18 mois, l’actuel Premier ministre devrait donc céder sa place à Benny Gantz, sans qu’il soit nécessaire de convoquer un nouveau scrutin. D’ailleurs, en nombre de sièges, Bleu-Blanc, le parti de centre-gauche de Gantz, est à présent minoritaire à la Knesset suite à la désertion d’une partie de ses troupes qui s’opposaient catégoriquement à des négociations avec Netanyahou. Une partie de ses électeurs n’ont d’ailleurs pas compris ni accepté son choix. C’est notamment le cas de ses alliés de poids comme Moshe Ya’alon et Yaïr Lapid. Ce dernier évoque depuis, avec véhémence, une trahison inacceptable de la part du désormais «général félon». Dans un rebondissement dont seuls les politiciens israéliens ont le secret, il s’est même déclaré prêt à voter avec Netanyahou pour empêcher Gantz d’être Premier ministre et ainsi renverser la loi sur la rotation !

Or, en définitive, l’opinion publique israélienne dans sa majorité a accueilli l’événement avec soulagement.

Une formulation gouvernementale viable ?

Par le passé, l’Etat hébreu avait déjà connu un gouvernement d’union nationale. En septembre 1984, devant une situation économique catastrophique et surtout les conséquences de l’«embourbement» de Tsahal au Liban (suite à l’Opération Paix en Galilée en 1982), le président de l’époque, Haïm Herzog, était parvenu à rapprocher deux hommes aussi opposés l’un de l’autre. Le travailliste, Shimon Peres et Itzhak Shamir, chef du Likoud et ancien chef de l’organisation terroriste d’extrême droite, le groupe Stern. Grâce au pragmatisme de ces deux leaders, ce «compromis historique», basé sur un «gouvernement par alternance», avait plus ou moins bien fonctionné.

Aujourd’hui avec, comme je l’ai évoqué précédemment, l’arrivée de travaillistes au poste clé de l’économie, c’est la politique «hyperlibéraliste» de Netanyahou qui peut en pâtir. Or, il est vrai que la pandémie a fait bouger les lignes et a fait surtout resurgir, comme partout en Occident, les besoins vitaux d’une solidarité étatique. Des nationalisations partielles ou temporaires sont même évoquées.

Sur d’autres points qui tenaient pourtant à cœur au camp de Gantz, notamment la modification de la loi Etat-nation ou les transports publics le samedi, on peut noter qu’il n’y a pas d’engagement pris concrètement.

Par ailleurs, le cabinet, qui comptera 36 ministres et 16 vice-ministres (la parité absolue doit être respectée entre les soutiens de Gantz et de Netanyahou), est déjà critiqué et jugé comme pléthorique et ruineux. Et même si le mouvement d’extrême-droite Yamina ne fait plus partie du gouvernement, Gantz devra composer avec le religieux radical, Yaakov Litzman, maintenu au poste de la Santé et que l’ancien militaire n’est pas parvenu à faire limoger.

Bref, toute coalition gouvernementale est toujours fragile mais encore une fois, face à la situation sans précédent que traverse le pays, on peut faire confiance au réalisme de Benny Gantz et surtout à la ruse de l’animal politique qu’est Netanyahou, pour que cela ne soit pas trop sulfureux. Ce dernier a par ailleurs gardé un droit de veto sur la nomination des juges de la Cour Suprême. Cela le concerne directement vu que son procès débutera le 24 mai prochain et qu’il a déjà prévu l’impossibilité de sa destitution en cas de condamnation en première instance…

Pour l’instant donc, nous assistons à une véritable lune de miel. Son espérance de vie dépendra grandement de l’issue de la crise sanitaire et à présent économique.

La question palestinienne

Il faut d’abord souligner que depuis la crise du Covid-19, même si les données et les informations demeurent certes encore très floues, les territoires de l’Autorité palestinienne mais également Gaza – sous la coupe du Hamas – ne s’en sortent pas si mal. Aussi étonnant que cela puisse paraître, cela est dû notamment à l’aide discrète mais bien réelle d’Israël (bien avant l’accord Gantz-Netanyahou), qui rappelons-le, est un pays rodé aux crises graves et qui serait, d’après certaines études en cours, un des Etats les plus efficaces contre l’épidémie.

Concernant les divergences de vue de Gantz, ses alliés et Netanyahou, sur la politique vis-à-vis des Palestiniens, notamment l’annexion de certaines parties de la Cisjordanie, nous avons assisté la semaine dernière à un premier consensus entre les deux anciens adversaires politiques. Il s’agissait de l’annexion de la vallée du Jourdain prévue dans le plan de Trump.

Quand la crise sanitaire mondiale sera passée, dans le cadre du «Deal du siècle», il faudra revenir à la table des négociations avec les Palestiniens. Pour le Premier ministre israélien, tous les points de l’accord portant sur la Judée-Samarie/Cisjordanie (qui permet à Israël d’annexer 30% de la Cisjordanie, y compris toutes les implantations et toute la vallée du Jourdain) sont des sujets cruciaux vis-à-vis de ses alliés politiques et de son électorat les plus à droite. «Bibi» sait pertinemment qu’il faut aller très vite sur la question de la vallée du Jourdain, mettre la barre très haute et aller très loin, avant les grandes concessions qu’il devra inévitablement faire par la suite sur d’autres dossiers du plan.

Pour Netanyahou, l’aide israélienne évoquée plus haut est d’abord, si j’ose dire, un moyen grossier de faire passer la pilule à Mahmoud Abbas. Mais surtout, le Premier ministre israélien doit d’abord compter sur sa nouvelle «lune de miel» avec Benny Gantz pour aller très vite dans cette annexion.

Or, n’oublions pas que l’ancien chef d’état-major, comme les responsables de Tsahal, sont très frileux, voire carrément hostiles, au sujet de la vallée du Jourdain et de son annexion. Dans tous les cas, l’accord de coalition entre Bleu et Blanc et le Likoud stipule que celle-ci peut être soumise à un vote. Au plus tôt le 1er juillet prochain, soit au cabinet, soit à la Knesset, «après discussion entre le Premier ministre et le Premier ministre suppléant», avec l’accord américain. Les deux ex-chefs d’état-major, Gantz et Gabi Ashkenazi, l’actuel ministre des Affaires étrangères, parviendront-ils à convaincre Netanyahou de reculer ? Nous verrons.

Pour l’heure, Gantz a déjà obtenu que soit mentionnée la notion de consentement international (notamment de l’Egypte et de la Jordanie) sur ce sujet. Netanyahou sacrifiera-t-il alors à sa décision ses bonnes relations avec Sissi et le Roi Abdallah II (l’Egypte et la Jordanie étant les seuls pays arabes à avoir signé un traité de paix avec l’Etat hébreu et dont les opinions publiques sont très sensibles sur cette question) ? Pas sûr…

C’est pourquoi, je pense que d’ici là, l’annexion de la vallée du Jourdain, lourde de conséquences en terme de tensions sécuritaires comme politiques pour Netanyahou, pourrait très bien finalement être sacrifiée au bénéfice de celles de plusieurs autres implantations de Cisjordanie. Il faut espérer que le principe de rationalité prévaudra finalement.

Le dossier iranien

Le dossier iranien est un des rares sujets qui fait largement consensus dans le milieu politique israélien, à droite, au centre comme à gauche. Car, même si l’Iran, surtout dans le contexte actuel, ne représente pas une menace existentielle, il est par exemple hors de question pour l’Etat hébreu que des forces iraniennes s’installent durablement en Syrie. Comme il est hors de question qu’une nouvelle menace à la frontière du Golan, notamment balistique, vienne s’ajouter à celles du Hezbollah au Nord et du Hamas au Sud. C’est la raison pour laquelle, depuis le début de la crise syrienne et jusqu’à ces derniers jours encore, Israël a pu frapper, en toute impunité et avec l’accord tacite russe, plus de 200 fois les forces iraniennes et du Hezbollah présentes sur le territoire syrien.

En outre, ne nous leurrons pas, les Russes ne sont pas très enthousiastes quant à une présence iranienne forte et pérenne en Syrie… Comme Assad d’ailleurs. Présent en Syrie début mars, j’ai pu mesurer personnellement un rejet significatif de l’«incrustation» iranienne de la part de la grande majorité de la population syrienne, comme de la plupart des officiers du régime.

En dépit de nombreuses protestations auprès de leurs partenaires russes, les Iraniens n’ont jusqu’ici jamais répliqué de manière franche et sérieuse aux frappes de Tsahal. Ils n’en ont absolument pas les moyens. Et aujourd’hui plus que jamais, puisque la crise du Covid a terriblement aggravé la situation socio-économique de l’Iran, déjà très mise à mal par les sanctions américaines.

Conclusion

La pandémie est en train de grandement affaiblir les Etats-Unis et surtout leur président. En effet, la crise sanitaire mondiale a terriblement impacté l’économie du pays. Même s’il ne faut pas l’enterrer trop vite, cela devient de plus en plus compliqué pour Donald Trump. Là aussi, les plus de 20 millions de chômeurs et la perspective des multiples faillites d’entreprises à venir, auront inévitablement une incidence sur l’élection présidentielle de novembre prochain. Enfin, quel sera d’ici quelques mois le paysage politique israélien ? Qui peut savoir ? Quoi qu’il en soit, Gantz devra impérativement rester sur ses gardes. L’inoxydable «Bibi» est un politicien madré, passé maître dans les coups tordus aussi surprenants que machiavéliques…

* Historien et géo-politologue. Membre du groupe d’analyse JFC Conseil.

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