Que s’est-il passé, hier mercredi 2 et ce matin jeudi 4 juin 2020, à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) ? Beaucoup de cris et de vociférations, des crises de nerfs à répétition et le spectacle pathétique d’une élite politique déboussolée et, surtout, complètement déconnectée des urgences et des priorités d’un pays au bord de la banqueroute.
Par Ridha Kéfi
Les tenants et aboutissants du drame qui s’est joué hier et ce matin sous la coupole du Bardo étaient pour le moins incompréhensibles pour beaucoup de citoyens : le pugilat auquel ils ont assisté tenait plus de l’auto-flagellation que du combat politique en tant que tel. Car l’enjeu n’était pas évident du tout, ni le but de toute la manœuvre et encore moins l’urgence d’un débat politico-politique dans un pays sorti très affaibli d’une crise sanitaire l’ayant mis presque à genou.
Une interminable séance de défoulement collectif
Le spectacle était pitoyable de pauvreté : un vieil homme, vicieux et cynique, Rached Ghannouchi, président de l’Assemblée, s’offrant, tel un punching ball, aux coups assénés par ses adversaires déchaînés, faussement résigné, plutôt amusé le bougre, sachant d’avance qu’au terme de cette interminable séance de défoulement collectif, et lorsque tout le monde aura vidé son cœur et son sac, il aura le dernier mot, sans trop se dépenser. Et tout redeviendra comme avant, business as usual, les islamistes d’Ennahdha, dont il est le président, tenant en main tous les leviers du pouvoir politique, avec plein de serviteurs zélés prosternés à leurs pieds, y compris parmi leurs pseudos-adversaires.
Ceux qui rêvaient éveillés d’un grand procès qui déboucherait sur le vote du retrait de la confiance au dirigeant islamiste en ont finalement eu pour leur frais. La plénière, chahutée de bout en bout et sciemment pourrie par les députés islamistes, s’est terminée comme elle a commencé, par le constat d’un énorme gâchis qui, plus grave encore, est promis à se poursuivre encore longtemps. Car ni Rached Ghannouchi, celui par qui le scandale arrivera toujours, ne semble disposé à changer sa manière de gérer le parlement comme une propriété familiale (avouons qu’à 79 ans et avec sa culture de prédicateur religieux, il aura du mal à assimiler les limites assignées par la constitution à sa fonction), ni ses opposants, désunis, parce qu’intéressés et opportunistes, ne semblent capables de le déboulonner.
Cherchez les dindons de la farce !
Ce fut donc une bataille rude pour les nerfs, mentalement très fatigante et qui a vu beaucoup de citoyens et de citoyennes veiller très tard dans la nuit du mercredi à jeudi pour assister à un interminable combat de coqs transmis en direct sur la chaîne Watania 2, mais une bataille pour rien, puisque même la motion censée limiter la marge de manœuvre de Ghannouchi, présentée par Abir Moussi, présidente du bloc du Parti destourien libre (PDL), n’a même pas été adoptée. Le vieux loup ayant trouvé, en dernière minute, à moins que tout n’ait été minutieusement préparé d’avance, d’inespérés soutiens parmi ceux et celles qui avaient pris part à la curée dont il fut l’objet.
Ainsi va la vie politique en Tunisie : la démocratie d’apparat permet à d’inamovibles parlementaires, plus incompétents les uns que les autres, arrogants de suffisance et grands retourneurs de veste devant l’Eternel de jouer, sur les travées de l’Assemblée, la comédie des alliances douteuses et des improbables adversités et qui, se foutant tous des intérêts de leurs électeurs comme d’une guigne, n’ont de souci que pour leurs propres intérêts. Ainsi donc, pour durer le plus longtemps possible à leurs postes et tirer le maximum des privilèges qui y sont liés, ils sont prêts à tout : jamais au meilleur mais toujours au pire.
Dans ce théâtre d’ombres ou ce bal masqué, les dindons de la farce, vous l’avez sans doute compris : c’est vous et moi.
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