À l’heure où toute la Tunisie ne parle que du Fakhfakh Gate et que la polémique enfle, la Tunisie officielle ne sait plus à quel saint se vouer! Du côté de la Kasbah, c’est motus et bouche cousue. L’actuel locataire et principal concerné préfère courber le dos en espérant que la tempête passe. Du côté de Carthage, Kaïs Saïed, l’Omar Ibn Al-Khattâb des temps modernes, élu triomphalement pour son intégrité, son silence lui sera fatal et lui fera perdre sa crédibilité.
Par Imed Bahri
«Je suis venu pour durer», dira en fin de matinée du vendredi 27 février 2020 en s’adressant au futur ex-chef du gouvernement Youssef Chahed, celui-là même qui lui aura tendu la perche et qui aura tout fait pour qu’il lui succède. On l’aura compris, l’humilité n’est pas le fort de M. Fakhfakh.
Aujourd’hui, M. Fakhfakh peut-il durer? Le Fakhfakh Gate sonnera-t-il le glas de ce passage à la Kasbah? Et son silence le sauvera-t-il jusqu’à quand? Et pourquoi bronche-t-il pas? Pense-t-il que c’est un orage d’été?
L’actuel chef du gouvernement ne communique pas et ne réagit pas au scandale politico-financier qui l’éclabousse. Il est pointé du doigt pour conflit d’intérêts. Il lui est reproché de ne pas avoir démissionné et vendu ses participations dans des entreprises dès son avènement à la Kasbah comme le prévoit la législation en vigueur et nul n’est censé ignorer la loi.
Un mélange des genres qui n’est pas du goût de l’opinion publique et qui va à l’encontre de la loi devenue plus sévère ces dernières années.
Un silence comme un aveu de culpabilité
En se taisant, est-ce un aveu de culpabilité en soi? Que peut-il dire aux Tunisiens? Ou bien d’autres révélations compromettantes peuvent éclater et lui faire perdre le peu de crédibilité qui lui reste? Mais le lourd et inquiétant silence, plus il se prolonge et plus il rend inaudible le chef du gouvernement. Cette attitude de courber le dos en espérant que la tempête passe est inefficace et nuisible à celui qui l’adopte. S’il espère miser sur la lassitude des citoyens et des médias, il se trompe car cette attitude crispe encore plus l’opinion publique et donne de lui l’image d’un carriériste qui s’accroche au pouvoir avec un mépris total pour les citoyens à qui il doit rendre des comptes. Mais pire ce silence nuit à celui qui l’a choisi à la Primature, le président Kaïs Saïed.
La République irréprochable de M. Saïed n’est-elle qu’une utopie ?
Le très taiseux Kaïs Saïed, grand adepte du silence devant l’Eternel qu’il aura brisé juste pour quelques minutes à Paris sur France 24, s’il opte cette fois-ci encore pour le silence, ça sera un piège pour lui.
Élu pour son intégrité et pour sa probité, l’Omar Ibn Al-Khattâb des temps modernes, s’il se tait cela voudra dire qu’il cautionne, couvre et soutient M. Fakhfakh. M. Saïed y laissera à ce moment-là toute sa crédibilité. Il doit convoquer le chef du gouvernement et réclamer des explications, si ce dernier est fautif, il doit immédiatement se désolidariser de lui car s’il s’engouffre dans un silence complice, sa république irréprochable promise durant la campagne électorale et réitérée dans son discours d’investiture du 23 octobre 2019 deviendra une boutade.
Déjà que c’est lui qui s’est laissé convaincre par le profil de M. Fakhfakh défendu par M. Chahed et si en plus, il ne dit rien face un tel scandale politico-financier cela voudra dire que l’affairisme se poursuit sous la présidence de M. Saïed et que rien n’aura changé sous la présidence d’Omar Ibn Al-Khattâb des temps modernes. La République irréprochable de M. Saïed sera in fine qu’une utopie.
Le président sait que la réalité est en train de prendre le dessus sur son discours d’habitude réconfortant et qui agissait comme un calmant social. Cet hiver, suite aux manifestations nocturnes qui secouaient Kasserine, il s’était rendu et les choses se sont calmées. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et on le voit à Tataouine, les paroles ne mettront pas un terme aux contestations. Déjà, M. Fakhfakh vu sa situation ne peut pas s’y rendre pour calmer le gouvernorat frondeur, c’est au président de s’en charger et c’est loin d’être une tâche aisée. De plus, Ennahdha ainsi que son satellite Al-Karama dont Tataouine est un bastion électoral saperont ses efforts. Il a eu droit à un avant-goût parisien avec le Nahdhaoui chahuteur envoyé devant l’ambassade pour lui bousiller sa visite. Ce dernier dans une vidéo postée le soir même dira pompeusement : «C’est un honneur d’appartenir à Ennahdha». Tout est dit.
M. Saïed est dans une guerre qui l’oppose à la famille islamiste élargie Ennahdha et Al-Karama ainsi que Qalb Tounes, l’autre satellite d’Ennahdha, et comme si c’était peu, son chef de gouvernement qu’il aura lui-même choisi de son propre chef, le met aujourd’hui dans de très mauvais draps. Si M. Saïed reste silencieux cela voudra dire qu’il le cautionne et il perdra sa crédibilité et sa popularité.
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