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Mon ami Ali Lajnef, quel destin tragique !

Ali Lajnef, 3e à partir de la gauche.

L’auteure, ancienne amie de Ali Lajnef, professeur de philosophie à la Faculté des lettres et des sciences humaines de Kairouan, décédé le 27 juillet 2020, à l’hôpital Farhat Hached à Sousse, des suites d’une agression survenue deux jours plus tôt, témoigne de sa longue amitié avec le défunt, «un frère et un compagnon de route».

Par Claudette Ferjani *

Ali, l’ami fidèle des bons et des mauvais jours, comment t’es tu retrouvé pendant des heures interminables sans soin, sans attention ? Comment as-tu été abandonné durant toutes ces heures dans une salle d’attente anonyme, toi dont toute la vie a été animée par le souci des autres, par le souci d’œuvrer à la construction d’une société humaine juste et attentive ? Toi l’homme bon et pacifique dont la seule arme était la pensée, la communication avec tes élèves, tes étudiant(e)(e)s, tes ami(e)s, comment a-t-on pu te faire une telle violence ?

Pour moi, tu es l’ami attentif qui m’a aidée à «faire mon trou» dans la Tunisie des années 1975 quand mon compagnon, Chérif, ton ami d’enfance depuis l’école primaire, se confrontait à la répression et à la prison. Tu as d’emblée été là, à mes côtés, présent, discret, fidèle et attentif, m’introduisant doucement dans ton cercle d’ami(e)s. Tu m’as fait rencontrer la bande des philosophes, les fins d’après-midi à L’Univers où nous refaisions le monde, la politique au cœur des discussions ! Mais aussi les conseils : «Attention ! Nous sommes écoutés !»

Tu as aussi été un pilier de l’appart d’El Menzah 1 où tu passais très souvent les weekends, après la semaine de cours à Kairouan ! Ton affection pour Chérif, tu l’as aussitôt reportée sur moi : Tu m’as donné des clés pour comprendre ce pays nouveau pour moi dont je ne possédais pas les codes !

Tu étais tellement enraciné dans la glaise de ton village d’origine, Blata, puis Sbikha, que tu m’as sûrement permis de comprendre et de «composer» avec le monde des campagnes qui était celui de mon nomade de beau-père, Baba Hacine que tu adorais, et de ton ami Chérif dont tu regrettais l’aventure qui l’a conduit en prison pour de longues années.

Ta timidité de premier abord s’évanouissait dès que nos débats glissaient vers la politique et la philosophie ! L’intellectuel engagé que tu étais s’enflammait, se passionnait.

Tes élèves des classes de philosophie t’adoraient, ô combien ! Tu étais un passeur d’idées, un adorateur de la dispute et du débat. C’était cela ton «terrain» préféré ! Mais cela, dans l’amour des autres, dans l’amour des gens humbles.

Ton attention et ton soutien à ta famille très modeste étaient constants et infaillibles ! Tu t’oubliais toi-même ! Ton côté «nihiliste», poète maudit, t’ont conduit à ne jamais sortir de cette steppe kairouanaise pourtant dure et hostile : fidélité à tes origines ? Forme d’engagement de base ? C’est tout cela Ali et ses mystères, Ali et ses attachements ! Ali et ses engagements, syndicaux, politiques et intellectuels ! En tout cas la fidélité et l’amitié ne t’ont jamais fait défaut. Ton ouverture au monde, ta tolérance, ta compréhension de l’autre m’ont tellement aidée durant ces années «noires» que j’ai l’impression de perdre un frère, un ami, un compagnon de route !

Malgré nos trajectoires différentes, ta parenthèse «allemande», ton retour en Tunisie, ta vie de famille avec ton mariage avec Chrifa et l’arrivée de deux beaux enfants, et notre départ en France en 1984, nous avons toujours conservé ces liens. Quelle joie de nous retrouver en 2013 à Blata dans votre école primaire autour du premier directeur de cette école de l’Indépendance !

Ali que s’est-il passé ce samedi après-midi du 25 juillet 2020? Comment as-tu pu être abandonné ainsi dans une salle d’attente aux urgences sans soins et sans attention ? Ta mort ne doit pas passer inaperçue ! Nous te devons la vérité !

* Chargée de mission en habitat social à la retraite, militante associative.

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