«Les incendies sont prémédités et des parties cherchent à en tirer des bénéfices politiques», estime le président de la république Kaïs Saïed, qui ne nomme jamais les choses par leur nom mais manie avec maestria un langage codé et crypté, préférant parler de «atraf» (des parties) derrière ces incendies forestiers enregistrés ces dernières semaines dans plusieurs régions de la Tunisie.
Par Ridha Kefi
Cette déclaration a été faite hier, mercredi 5 août 2020, par le président Saïed, au cours de sa visite à Amdoun, gouvernorat de Béja, sur le site où des incendies de forêt ont eu lieu ces derniers jours.
Mais qui sont ces «atraf» dont parle le chef de l’Etat ? Mystère et boule de gomme. Seul Dieu et M. Saïed les connaissent.
Ce discours, qui entretient le mystère et le suspense, fait saliver le public de M. Saïed, friand de cette chronique des «atraf» et des «mouamarat» (complots). Avec M. Saïed, c’est Sherlock Holmes qui a déménagé de son adresse londonienne du 221B Baker Street pour emménager au Palais de Carthage.
Le rôle d’un chef d’Etat n’est pas de faire paniquer les citoyens
Plus sérieusement, un chef d’Etat reçoit régulièrement sinon quotidiennement des rapports ultra secrets sur la situation sécuritaire dans le pays émanant notamment de l’armée nationale. Si M. Saïed parle de «complots», c’est qu’il a de bonnes raisons de le faire. S’il a de vraies données à ce sujet, qu’est-ce qu’il attend pour activer les services de l’Etat et faire le nécessaire pour contrer le danger ainsi désigné, et notamment la justice contre les fauteurs de troubles ?
Si M. Saïed n’a vraiment pas de données précises à propos de ces soi-disant complots, et qu’il utilise ce moyen pour manipuler l’opinion publique et la maintenir en haleine, nous devons lui rappeler que le rôle d’un chef d’Etat n’est pas de faire paniquer les citoyens ou d’alimenter leurs inquiétudes. Ils en ont déjà assez avec les problèmes réels (politiques, économiques et sociaux) qu’ils subissent depuis 2011 pour leur en ajouter d’autres, chimériques et qui n’existent que dans la tête d’un président solitaire et qui est en train de développer une grave forme de paranoïa.
Une angoisse présidentielle hautement toxique et paralysante
M. Saïed, si vous avez des données réelles et vérifiées sur des complots fomentés contre l’Etat tunisien dont vous êtes le magistrat suprême, faut-il vous le rappeler, qu’est-ce que vous attendez pour tout déballer et pour désigner les comploteurs que vous ne cessez de désigner à la vindicte populaire… mais sans les nommer ? Mais si, monsieur le président, vous n’avez pas d’éléments concrets susceptibles de constituer les termes d’une accusation acceptable par une justice digne de ce nom, alors arrêtez de donner libre cours à vos fantasmes et de partager vos peurs avec une population fatiguée et au bord de la crise de nerfs, car les angoisses d’un chef d’Etat sont on ne peut plus contagieuses.
Enfin, de la part d’un chef d’Etat, cette attitude est très néfaste et destructrice, car elle n’incite guère à l’optimisme et à l’espoir dont un peuple a besoin pour se mettre au travail, produire, créer et construire son avenir. Au contraire, cette attitude est hautement toxique et paralysante, qui plus est, en cette période ô combien difficile où les Tunisiennes et les Tunisiens s’interrogent sérieusement sur le présent flou de leur pays et l’avenir incertain de leurs enfants.
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