C’est sous la pression internationale que le nouveau CNSP s’est installé à Bamako, sous les applaudissements d’une partie de l’opposition, mais sommé par l’Onu de rendre le pouvoir aux civils.
Par Hassen Zenati
Mal assuré, visage rond, large moustache et barbe de plusieurs jours, enveloppé dans la tenue kaki des forces spéciales de l’armée malienne, les «bérets verts», une unité d’élite, dont il est le chef, sachant qu’il est un parfait inconnu au bataillon politique, commence par se présenter lui-même aux journalistes dans un décor spartiate: «Je me présente: je suis le colonel Assimi Goita, président du Comité national pour le salut du peuple (CNSP)». Il donne ainsi un nouveau visage aux tombeurs la veille le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) – après le bref intermède assuré par le colonel-major Ismaël Wagué, chef d’état-major adjoint de l’armée de l’air, qui s’était présenté à chaud comme le porte-parole des putschistes. Suivent quelques phrases auto-justificatrices d’un coup d’Etat que personne n’a vu venir : «Le Mali traversait une crise politique et sécuritaire» (sous-texte : légitimant l’intervention de l’armée) et une promesse que l’on entend souvent dans la bouche de ceux qui fondent leur intervention sur les erreurs des autres en s’engageant à ne pas tomber dans les mêmes ornières: «Nous n’avons pas le droit à l’erreur».
Le colonel Goïta, un proche des Américains
Assimi Goïta a la quarantaine. Il a participé à la formation Flintlock, assuré et financée par les Etats-Unis. Les plus attentifs l’ont même repéré posant aux côtés d’officiers américains, qui parlent de lui comme d’un «partenaire clé».
Le CNSP, qui n’a apparemment aucune expérience politique, va devoir travailler sous le pesant fardeau de la pression internationale. Il est sommé de revenir à «l’ordre constitutionnel», en libérant, pour commencer, le président Keïta et les autres dirigeants qu’il retient dans une villa d’un camp militaire proche de Bamako, à l’abri d’une éventuelle vindicte populaire, et en restituant le pouvoir aux civils.
Cependant, à la lecture des positions des uns et des autres, on se rend compte que le CNSP garde des marges de manœuvres pour satisfaire les uns sans mécontenter les autres, en poursuivant l’application de sa feuille de route, qu’il s’est gardé de détailler pour l’instant.
Il s’est contenté à minima d’affirmer que «tous les accords passés» seront respectés, et que toutes les forces engagées actuellement au Mali : la Minusma, la force anti-jihadiste française Barkhane, le G5 Sahel regroupant cinq pays de la région (Mali, Niger, Burkina, Tachad, Mauritanie), la force Takuba, groupement de forces spéciales européennes censées accompagner les Maliens au combat, «demeurent nos partenaires».
Le CNSP s’est déclaré par ailleurs «attaché au processus d’Alger», l’accord de paix signé en 2015 entre le pouvoir central et les groupes armés du nord du pays prévoyant notamment une décentralisation, l’intégration des groupes armés rebelles au sein de l’armée nationale, le développement des régions déshéritées, théâtres des affrontements.
La communauté internationale attachée au retour à la légalité constitutionnelle
L’Union Africaine (UA) a suspendu le Mali «jusqu’au retour de l’ordre constitutionnel». Le Conseil de sécurité de l’Onu, qui déploie une force de 15.000 hommes sur le terrain, la Minusma, aussi nombreuse qu’inefficace, convoqué à la demande de la France, a appelé à la libération «immédiate» du président renversé, et «souligné la nécessité pressante de rétablir l’État de droit et d’aller vers un retour de l’ordre constitutionnel».
Les pays de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédéao), dont l’échec de la «médiation» entre le pouvoir d’IBK et l’opposition, a sans doute convaincu les militaires de franchir le Rubicon, l’Union Européenne (UE), le Etats-Unis se sont alignés sur les mêmes positions. L’Algérie, qui partage 1400 km de frontières avec le Mali et a joué un rôle important dans les pourparlers de paix dans ce pays, «réitère son ferme rejet de tout changement anticonstitutionnel de gouvernement», alors que le Maroc a appelé à une «transition civile pacifique, permettant un retour rapide et encadré à l’ordre constitutionnel».
Chef d’orchestre de l’opération Barkhane, déclenchée en 2013 par son prédécesseur François Hollande, au nom d’un partenariat privilégié avec le Mali pour lutter contre les groupes jihadistes au Sahel, le président Emmanuel Macron, estime que «la lutte contre les groupes terroristes et la défense de la démocratie et de l’État de droit sont indissociables. En sortir, c’est provoquer l’instabilité et affaiblir notre combat. Ce n’est pas acceptable».
Connivence de l’opposition avec les militaires
De l’autre côté de la barricade, l’opposition s’est rapidement ralliée aux militaires, qui lui auront tiré les marrons du feu. Elle manifestait depuis des mois en vain pour demander «un changement démocratique». La répression qu’elle a subie a fait depuis juillet entre 11 et 20 morts. Sa connivence avec les militaires est pour l’instant évidente.
En effet, dès que l’armée a appelé la population à «vaquer à ses occupations», cesser les pillages et le vandalisme pour revenir à une «vie normale», de mystérieux mots d’ordre l’invitant à obtempérer ont fusé aux quatre coins du pays. Comme par miracle, tout semble être rentré dans l’ordre depuis mercredi sous l’œil vigilant des patrouilles lourdement armées.
Estimant que le coup d’Etat militaire «parachevait» sa propre lutte pour obtenir le départ d’IBK, la principale coalition d’opposition, le Mouvement du 5-Juin – Rassemblement de forces patriotiques (M5-RFP), «prend acte de l’engagement» du CNSP «d’ouvrir une transition politique civile». Elle a appelé la population à célébrer sa «victoire» dans la rue vendredi. Avec un double enjeu : montrer sa capacité de mobilisation au sein de la population, et assurer le CNSP d’une base populaire lui permettant de faire éventuellement face aux pressions internationales redoutées.
Un pays dirigé comme une «fédération de familles»
Depuis l’enlèvement du chef de file de l’opposition malienne Soumaïla Cissé, le 25 mars dernier, c’est un imam charismatique, ancien président du Haut conseil islamique (HCIM) : Mahmoud Dicko, qui mène le combat contre le régime, après avoir réussi à coaliser autour de lui au M5-RFP des petits partis sans influence jusque-là, mais qui comptent désormais sur la scène politique. Son discours moralisateur surfe sur le ras-le-bol de la population à l’égard d’une guerre dont on présentait la fin proche, mais qui semble s’éterniser, la dégradation des services publics, la corruption généralisée, l’effondrement de l’emploi et de la production agricole.
Le multipartisme échevelé (176 partis) a dévoyé la démocratie malienne, qui de gouvernement d’union nationale, en gouvernement d’union nationale, n’a pas trouvé ses repères, se contentant de reprendre les mêmes pour recommencer à chaque fois que survenait une crise politique, en attendant la prochaine. Depuis des années, en effet, le pays est dirigé comme une «fédération de familles», préoccupées par leurs seuls intérêts en tentant de tirer le maximum de profit de tout ce qui vient de l’étranger.
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