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Comment faut-il analyser la décision de démettre Chawki Tabib, le président de l’Inlucc ?

Il est crucial que Chawki Tabib, président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc), limogé hier, lundi 24 août 2020, par le chef de gouvernement de gestion des affaires courantes, Elyes Fakhfakh, tienne une conférence de presse pour expliquer aux Tunisiens tous les accomplissements de l’Instance et pour laver les affronts des accusations mensongères portées contre son honneur et celui de tous les dignes collaborateurs de cette vénérable institution.

Par Semia Zouari *

Depuis hier, lundi 24 août 2020, les réseaux sociaux et la presse électronique commentent en boucle la décision de limogeage de Chawki Tabib, président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc), attribuée à Elyes Fakhfakh, le chef de gouvernement de gestion des affaires courantes, contraint à la démission pour suspicion de conflit d’intérêts dans l’attribution d’un marché public au profit d’une société dont il serait actionnaire et qui aurait, elle-même, engagé une action en justice, en pénal, contre le président de l’Instance nationale de lutte contre l’Inlucc pour divulgation d’informations confidentielles et manipulation des enquêtes d’investigation dans la lutte contre la corruption.

Des questions cruciales pour la transition démocratique

On nous annonce également l’ouverture d’une mission d’enquête pour auditer les comptes et la gestion de l’Inlucc, par le ministère de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption, dont le titulaire, Mohamed Abbou, président du parti Attayar, serait, lui-même, empêtré dans une autre affaire de conflit d’intérêts, en rapport avec le financement de la campagne électorale de son parti. Sachant que l’Inlucc a été récemment auditée favorablement par la Cour des Comptes. Mais qui peut ignorer les capacités de nuisance des inspections à charge?

Les questions que tous les Tunisiens se posent légitimement devant ce qui ressemble à un règlement de comptes sont cruciales pour la transition démocratique tunisienne post-révolutionnaire:

  1. Elyes Fakhfakh aurait-il pu lancer une telle démarche sans l’aval du président de la république Kaïs Saïed?
  2. A-t-il outrepassé ses prérogatives jusqu’à justifier une action en justice auprès du Tribunal administratif pour abus de pouvoir et exigence de rétablissement de M. Tabib dans ses fonctions?
  3. N’est-il pas vrai que le poste de président de l’Inlucc avec rang de ministre est un des plus convoités et craints, ce qui justifie toute les manœuvres pour s’assurer de sa «récupération»?
  4. Ya-t-il une réelle volonté politique de lutter contre la corruption hors des contingences politiciennes, des convoitises pour les hautes fonctions, des manipulations mafieuses pour garantir l’impunité à ceux qui ont organisé une économie de rente à leur profit et dont certains représentants indignes siègent aujourd’hui à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) en toute illégitimité sous couvert d’une loi électorale trop permissive?
  5. Allons-nous continuer à voir traîner dans la boue tous les hauts fonctionnaires engagés dans la lutte contre la corruption? À les voir jetés en pâture devant les juridictions, pour de longues années de procédures judiciaires, souvent sur la foi de faux témoignages, de «missions d’inspection» à charge, de faux «lanceurs d’alertes», de personnages peu recommandables, de cyber-activistes dûment mandatés par les politiciens pour déverser les intox et les calomnies sur les réseaux sociaux ?

La faible volonté politique des gouvernants dans la lutte contre la corruption

Permettez-moi d’apporter un modeste témoignage sur notre lutte contre la corruption, en tant qu’acteur, au sein du ministère des Affaires étrangères, de 2016 à 2019, du suivi de notre transition démocratique en collaboration notamment avec l’Union Européenne, le Conseil de l’Europe, la Commission de Venise, le Groupe des États contre la corruption (Greco), et le programme Building Integrity de l’Otan.

J’ai pu constater, à mon grand regret, la faible volonté politique de nos gouvernants dans la lutte contre la corruption et cela à plusieurs reprises, via ces éléments d’appréciation:

a. la modicité voulue des moyens accordés à feu Samir Annabi, président d’une Inlucc réduite à une coquille vide, alors que les dossiers noyaient son bureau. Jusqu’à sa démarche auprès du Conseil de l’Europe pour l’obtention de fonds d’appui, de programmes de formation et de coopération notamment avec la Commission de Venise. L’occasion de remercier le chef du bureau du Conseil de l’Europe William Massolin, la directrice des Programmes Verena Taylor, le président de la Commission de Venise Gianni Buquicchio, et l’Union européenne, ainsi que nos partenaires de l’Otan du Programme Building Integrity dont les appuis au processus transitionnel tunisien ont été déterminants;

b. la mise à l’écart du grand commis de l’Etat Ahmed Zarrouk, ancien DG de la Gouvernance à la Présidence du Gouvernement qui a fini par présenter une demande de retraite anticipée, à la grande consternation de tous les honnêtes serviteurs de l’Etat. Il avait milité pour notre adhésion au Gafi et au Greco pour permettre à la Tunisie de s’engager dans la transparence financière et la bonne gouvernance, pour pouvoir lutter contre les mafias qui saignent le pays ;

c. l’obstruction à notre demande d’adhésion au Greco de la part de la présidence du gouvernement et du secrétariat général du gouvernement au prétexte que cela ne nous occasionnerait que des black-listings alors que des délais raisonnables nous étaient impartis pour engager la salubrité de nos activités financières et qu’une coopération judiciaire internationale s’ouvrait à nous pour défendre nos intérêts et la récupération des biens spoliés retenus à l’étranger. Alors que les Etats-Unis avaient notifié au secrétariat Général du Greco leur satisfaction de la démarche vertueuse de la Tunisie et cela en tant que garants de nos crédits, bien que toutes nos capacités de remboursement étaient et sont encore compromises.

Tout cela pour dire que la volonté politique réelle de lutter contre la corruption n’a pas été la préoccupation sincère de la plupart de nos dirigeants post-révolutionnaires successifs. Un pas en avant, deux pas en arrière.

C’est pour cela que l’Inlucc constitue un contre pouvoir déterminant et un élément clef de notre transition démocratique. De même que l’Instance Vérité et Dignité (IVD), elle est au cœur de toutes les luttes de pouvoir post révolutionnaires.

Des manœuvres d’une banalité affligeante au pays de Tararani

Aujourd’hui il faut rendre justice à Chawki Tabib qui a fait partie des acteurs déterminants dans la lutte contre la dictature et la transition démocratique tunisienne car il a réussi à donner à l’Inlucc ses lettres de noblesse en mobilisant la coopération internationale et les fonds de soutien. Par son opiniâtreté et son charisme, il a réussi à faire bénéficier l’Inlucc de financements internationaux, de mécanismes de coopération avec la Roumanie, la Corée du Sud, l’Union Européenne, la France, l’Italie…

Beaucoup de politiciens espéraient voir l’Inlucc demeurer une coquille vide sans moyens et sans ambitions d’autant plus que la lutte contre la corruption est un enjeu stratégique de notre transition démocratique après la mainmise de la dictature kleptocrate benaliste et les dérives post révolutionnaires. Dans cette mission, lui et ses prédécesseurs se sont aliénés les mafias, les lobbies, les politiciens véreux et tous ceux qui étaient impliqués de près ou de loin dans la corruption.

Son poste est du reste si convoité que la tentation de le démettre de ses fonctions était trop grande. Que d’accusations mensongères ont été formulées à son encontre… Et à l’encontre de sa famille. Des manœuvres d’une banalité affligeante au pays de Tararani où on préfère l’instrumentalisation politicienne de la lutte contre la corruption pour salir les honnêtes gens et blanchir les véritables corrompus. La preuve, une ARP remplie de mafieux, de contrebandiers et de repris de justice. Pauvre Tunisie !

Aujourd’hui plus que jamais, respect au Bâtonnier Chawki Tabib et à toutes les belles réalisations qu’il a accomplies avec sa magnifique équipe pour faire de l’Inlucc une citadelle de la lutte contre la corruption. S’il était si avide de garder son poste, il se serait porté candidat à la présidence de l’Ibogolucc, l’Instance devant remplacer l’Inlucc et qui n’a pu voir le jour, en raison des convoitises politiciennes d’une ARP remplie de corrompus craignant de se faire épingler par des dirigeants courageux et incorruptibles.

C’est pour toutes ces raisons qu’il est crucial que M. Tabib devrait tenir une conférence de presse pour expliquer aux Tunisiens tous les accomplissements de l’Inlucc, pour justifier auprès de nos partenaires étrangers les fruits de notre belle coopération et pour laver les affronts des accusations mensongères portées contre son honneur et celui de tous les dignes collaborateurs de cette vénérable institution.

* Diplomate.

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