Dans un article intitulé «Abir Moussi, la ‘‘lionne’’ de l’ancien régime en Tunisie», publié par El Pais, notre confrère espagnol présente «la présidente d’un parti créé après la chute de Ben Ali» et qui «se déclare héritière de la dictature et ennemie des islamistes.»
Par Ricard Gonzàlez
Personne ne peut accuser Abir Moussi (Jemmal, 45 ans) d’être hypocrite ou lâche. En mars 2011, lorsque les autres dirigeants du régime renversé de Ben Ali ont fui la Tunisie ou changé de veste pour s’adapter au nouvel ordre politique, elle était la seule avocate à oser défendre le RCD, le parti du dictateur en fuite, devant le tribunal.
Moussi n’a pas pu empêcher la dissolution de la formation, dont elle était secrétaire générale (ajointe chargée de la femme, Ndlr). Dans une célèbre photo, on la voit sortant du tribunal, elle a été insultée et bousculée et a dû se protéger dans un poste de police voisin. Cependant, après presque 10 ans d’instabilité et de crise économique dans le pays, le vent souffle désormais en faveur des nostalgiques de la dictature, et Moussi, qui préside aujourd’hui un parti, mène déjà les sondages.
Fille d’une enseignante et d’un policier, Moussi a déjà appris dans son enfance l’importance des valeurs d’ordre et d’obéissance à l’autorité. Mais aussi l’adoration d’Habib Bourguiba, le père autocratique de l’indépendance tunisienne, dont le portrait ornait les murs de la maison familiale. Bourguiba, également né dans la province de Monastir, a imposé un projet de modernisation et de sécularisation du pays qui comprenait l’approbation du code de la famille le plus progressiste de la région. Le Parti destourien libre (PDL), fondé par un ancien Premier ministre (Feu Hamed Karoui, Ndlr) du président déchu Ben Ali, et dont Moussi est devenue présidente en 2016, est considéré comme l’héritier de son mouvement politique, Néo-Destour (fondé en 1934, Ndlr).
Son charisme, elle le doit à son caractère combatif
Tant sur les murs du siège du PDL, que dans les discours de sa présidente, Bourguiba éclipse Ben Ali, sans pour autant nier l’héritage de ce dernier. «Il y avait de bonnes et de mauvaises choses, mais l’économie et la sécurité étaient bonnes», a glissé Moussi lors d’une réunion avec la presse étrangère avant les élections présidentielles de l’hiver dernier, au cours desquelles elle a obtenu un modeste 4% des voix. Devant les correspondants, elle a maintenu un geste distant, et parfois une attitude pointilleuse. Probablement parce qu’elle est consciente que sa croyance selon laquelle les révolutions arabes, dont la Tunisie était le berceau, sont issues d’une conspiration étrangère, n’est pas très populaire en Occident. «La liberté d’expression ne suffit pas; elle n’apporte pas de stabilité, ni un État fort, ni ne nourrit», a-t-elle lancé.
Comme d’autres dirigeants politiques de la vague populiste actuelle, le phénomène Moussi est né sur les écrans de télévision. Soit en raison des relations benalistes des propriétaires de certaines chaînes tunisiennes, soit en raison de sa capacité à s’engager dans des discussions houleuses, Moussi est devenue omniprésente dans les débats durant la période postrévolutionnaire. Elle est également présente sur les chaînes saoudiennes et émiraties, suscitant des rumeurs sur un hypothétique financement du Golfe. Elle le nie, mais lors d’un récent débat, elle a refusé de commenter l’accord de normalisation israélo-émirati. «C’est une affaire interne aux Emirats», se borna-t-elle à dire.
«La base de son charisme est son caractère combatif et le fait qu’elle reste ferme dans ses principes. D’ailleurs, elle sait aussi le vendre comme un bon spectacle», estime l’analyste Youssef Cherif. Pour cette raison, cette femme forte a gagné le surnom de «lionne» dans les médias tunisiens et, dans certains médias français, le surnom de la «pasionaria tunisienne». «Après l’arrivée au pouvoir de plusieurs partis pendant la transition et leur direction laxiste, elle est désormais considérée comme la seule alternative», ajoute-t-il.
Son programme s’articule autour de la construction d’un «État fort», véritable obsession, et d’une réforme constitutionnelle pour transformer le système politique en un système présidentiel.
Portée par le désenchantement populaire
Cependant, son principal atout est son hostilité à l’islam politique. Il y a quelques mois, elle a même déposé une motion visant à déclarer les islamistes d’Ennahdha une organisation terroriste, qu’elle appelle «khwanji», un terme péjoratif pour les Frères musulmans. En fait, il réclame l’interdiction de ce parti depuis des années. «Nous n’avons aucun lien avec les Frères musulmans», insiste Ridha Driss, un dirigeant d’Ennahdha, le parti qui a obtenu le plus de voix lors des dernières élections.
Le désenchantement populaire et le déclin des autres partis bourguibistes, tels que Nidaa Tunes ou Qalb Tunis, ont porté le PLD de Moussi à 35% d’intention de vote dans un récent sondage. Parmi sa base, Rauuf, un chauffeur à la retraite qui considère que la «lionne» est la seule «à avoir assez de courage pour défier les islamistes». «Pour certains jeunes qui ne connaissaient pas le benalisme, maintenant le système est représenté par les islamistes. Elle représente le changement», dit Cherif, sceptique quant à sa capacité à garder le pouvoir si elle l’obtient: «Le parti se résume à sa personne, il n’a pas de véritable structure. De plus, la situation économique est si mauvaise que tous les gouvernements sont incendiés immédiatement, et le sien ne serait pas une exception».
Bien que le Parlement ait récemment accordé sa confiance à un nouvel exécutif, on pense que son espérance de vie sera courte, et Moussi se frotte déjà les mains avec une hypothétique élection anticipée. Le seul capable d’empêcher sa victoire est, probablement, le président Kais Saied, un indépendant qui a balayé ses concurrents, en octobre dernier, avec plus de 70% des voix.
Traduit de l’espagnol par Imed Bahri
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