Pour bien mesurer l’étroitesse de la marge de manœuvre du chef du gouvernement Hichem Mechichi et son degré d’«indépendance», il suffit de voir comment il intervient pour imposer les diktats d’Ennahdha au ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, que le parti islamiste considère comme sa chasse gardée.
Par Imed Bahri
Théoriquement, et seulement théoriquement, Mechichi dirige un gouvernement de compétences indépendantes des partis politiques. La vérité et tout autre, car ce commis de l’Etat, sans vision ni charisme, habitué à exécuter les instructions, est aujourd’hui sous la coupe d’Ennahdha et de ses deux satellites Qalb Tounes et Al-Karama, dont les dirigeants font le pied de grue au Palais de la Kasbah et ne le quittent pas d’une semelle. Et il semble bien s’accommoder de cette situation et y trouver même son compte dans la guéguerre qu’il livre aujourd’hui à celui qui l’a propulsé à ce poste auquel rien dans son parcours ne le destinait et dont il n’osait même pas rêver il y a quelques mois.
Mechichi n’a qu’un seul souci : servir Ennahdha
D’ailleurs, le très indépendant M. Mechichi vient de nommer au sein de son propre cabinet un conseiller pour l’agriculture, Oussama Kherigi, un protégé d’Ennahdha, qui n’est autre que l’ex-ministre de l’Agriculture, et, donc, l’ex-chef hiérarchique de l’actuelle ministre, Akissa Bahri, ex-secrétaire d’Etat chargée des Ressources hydrauliques. Ainsi flanquée d’une statue du commandeur, Mme Bahri aura du mal à bien gérer son département, alors que tout le monde reconnaît sa compétence et son efficacité. On peut même parier que toutes ses décisions vont être contrariées sinon contrées par M. Khériji, qui est là pour défendre les intérêts des acteurs du secteur affiliés et proches d’Ennahdha.
D’ailleurs, en guise de bizutage, Mme Bahri a subi de fortes pressions pour maintenir en poste le chef du cabinet de son prédécesseur, mais elle a tenu bon et a nommé un nouveau candidat, un haut cadre du département connu pour avoir fait ses preuves. Mal lui a pris, puisque deux fonctionnaires de la Kasbah ont été dépêchés pour déloger manu-militari le nouveau promu et installer un intérimaire de leur choix à sa place.
Ce fait est inédit dans les annales de l’administration tunisienne où, habituellement, chaque nouveau ministre nomme lui-même les membres de son gouvernement. Et M. Mechichi, qui est issu de cette administration, le sait très bien. Mais dans son zèle pro-nahdhaoui, il est prêt à tous les écarts, au risque de perdre toute crédibilité et de se couvrir de ridicule. La preuve, il a sommé tous les ministres de consulter la présidence du gouvernement avant de procéder à toute nomination.
Un pas de plus de la Tunisie dans l’anarchie
Commentaire désabusé d’un haut cadre du département de l’Agriculture : «De quelle indépendance il parle notre nouveau chef de gouvernement? Ne sait-il pas, par ailleurs, que le ministère de l’Agriculture continue à souffrir des parachutages massifs de sympathisants nahdhaouis, sous les deux gouvernements de la Troïka (la coalition conduite par les islamistes entre janvier 2012 et janvier 2014, Ndlr)? Ne sait-il pas aussi que le bureau de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (Utap) est à l’image de celui de l’Assemblée (dominé par les islamistes, Ndlr)? Comment les cadres du ministère de l’Agriculture vont-ils pouvoir travailler dans cette ambiance malsaine souillée par des manœuvres destructrices de partis politiques? Si les choses continuent ainsi, oublions le programme de réformes pour la remise à niveau de notre agriculture. Ce n’est certainement pas pour aujourd’hui… et peut-être pas pour demain. Une autre occasion ratée et un pas de plus pour notre Tunisie dans l’anarchie!»
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