Dire que le chef du gouvernement Hichem Mechichi nous a laissés sur notre faim, lors de son premier entretien télévisé, dimanche soir, 18 octobre 2020, sur la chaîne Watania 1, n’exprime pas exactement ce que beaucoup de nous ont ressenti en écoutant hier ses réponses soporifiques. Nous avons été plutôt déçus, pas vraiment surpris car nous n’accordions pas beaucoup de crédit à cet énarque gris et lisse, mais écœurés tout de même par son alignement sur l’«alliance du mal» qui le tient désormais par une chaîne invisible : Ennahdha, Qalb Tounes et Al-Karama.
Par Ridha Kéfi
L’impression que nous a laissée M. Mechichi, sous cet air de fausse aisance qu’il a tenu à afficher, est donc, dans l’ensemble, très désagréable ou carrément mauvaise. L’homme a-t-il la carrure pour occuper un poste aussi important duquel, il y a quelques mois encore, il n’osait même pas rêver et auquel rien dans son parcours pour le moins banal ne le prédestinait.
Passé en quelques mois et sans transition de simple chef de cabinet, à conseiller juridique du président de la république, à ministre de l’Intérieur puis à chef de gouvernement, cette fulgurante ascension ne lui a pas laissé le temps de se mettre au diapason de la difficile mission qui est la sienne aujourd’hui, qui plus est, dans un pays en pleine crise et qui a plus besoin d’un visionnaire qui fasse bouger les lignes et bousculer les habitudes que d’un simple rond de cuir, sans imagination ni densité intellectuelle, habitué à exécuter, sans états d’âme ni scrupule, des instructions venues de la hiérarchie.
Avec un tel timonier à la barre, le pire est encore à venir
Hier, et en réponse aux sujets les plus brûlants, M. Mechichi s’est montré trop vague pour être rassurant. C’est à se demander s’il mesure réellement la gravité de la situation où se trouve aujourd’hui la Tunisie ou s’il est juste en train de déguster le quart d’heure de gloire que le président de la république, dans un moment d’égarement – et il en a de plus en plus ces derniers temps – lui a offert sur un plateau. Car un vrai chef de gouvernement se serait montré beaucoup plus grave dans ses réponses et, surtout, beaucoup plus précis, plus ferme et plus tranchant, le moment étant très difficile, les citoyens ne supportent plus la langue de bois, les dérobades ou, pire encore, l’à peu près qui donne généralement l’impression que le concerné ne maîtrise pas vraiment ses dossiers.
Dans l’ensemble, que retenir de cet entretien télévisé sinon qu’avec un tel timonier à la barre, le pire est encore à venir et qu’au vu des périls pointant déjà à l’horizon, le bateau va dangereusement tanguer dans les prochains mois.
À travers ses réponses évasives, M. Mechichi a cependant confirmé certaines de nos appréhensions. D’abord, concernant ses relations avec le président Kaïs Saïed, il y a peu de chance qu’elles s’améliorent. D’ailleurs, en évoquant la constitution qui délimite les prérogatives de chacun des deux têtes de l’exécutif, M. Mechichi n’a pas envoyé un message positif au chef de l’Etat et encore moins aux Tunisiens. Si ce n’est pas par manque de tact, ce serait par arrogance et cela, on l’imagine, va nous valoir de nouvelles «scènes de ménage» entre Carthage et la Kasbah.
Cap sur la destitution de M. Saïed
M. Mechichi a confirmé aussi qu’il est désormais la marionnette de la «coalition du mal» constituée par ce qu’il a appelée sa «ceinture politique et parlementaire», à savoir la «nouvelle troïka» : Ennahdha, Qalb Tounes et Al-Karama, dont l’unique objectif aujourd’hui est de prendre le contrôle de l’Assemblée, de mettre le gouvernement sous sa tutelle et de préparer le processus de destitution de M. Saïed. Donc, avis de tempête…
Preuve s’il en est encore besoin que M. Mechichi est désormais l’homme lige de cette «nouvelle troïka» : en réponse à une question sur sa position concernant le projet d’amendement du décret-loi n° 116 du 2 novembre 2011 relatif à la régulation audiovisuelle, on aurait souhaité l’entendre défendre le projet de loi gouvernemental relatif à la mise en place de l’Instance de communication audiovisuelle (ICA) devant remplacer la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica). Mais non, M. Mechichi a complètement oublié l’ICA et a préféré abonder dans le sens de Rached Ghannouchi, Nabil Karoui, Seifeddine Makhlouf, en affirmant qu’il est favorable à toute initiative visant à libérer davantage le secteur audio-visuel. Si ce n’est pas là une capitulation en rase campagne devant la coalition du mal, qui cherche à mettre son grappin sur le secteur médiatique et à le livrer aux lobbies de l’argent sale, cela lui ressemble beaucoup.
Autre sujet d’inquiétude : M. Mechichi n’a à aucun moment condamné clairement les groupes qui, au prétexte de protester contre le chômage, arrêtent la production du phosphate (à Gafsa) et du pétrole et du gaz (à Tataouine), ce qui fait perdre à la communauté nationale des centaines de millions de dinars chaque jour que Dieu fait et constitue un délit puni par la loi. Il a préféré souligner la nécessité pour l’Etat de respecter ses engagements vis-à-vis des protestataires. Voilà donc un chef de gouvernement qui ne défend pas l’intérêt général mais qui justifie les actes de sabotage de l’économie nationale. Que peut-on sérieusement attendre d’un homme dont le pays est au bord de la faillite et qui ne pense qu’à dilapider le peu de ressources qui lui reste ?
Non vraiment, cet homme n’est pas à sa place et, pire encore, il est dangereux.
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