Confronté à une crise économique amplifiée par la pandémie de la Covid-19 et ayant provoqué une situation sociale tendue, la Tunisie se prépare à en débattre dans le cadre d’un dialogue national initié par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et accepté par le président de la république, non sans réflexion. La problématique qui se pose s’articule autour du pourquoi et du comment du prochain dialogue ? Nous essaierons de répondre à cette double question par un exposé des finalités assignées (I) et des attentes y afférentes (II).
Par Jalel Boughzala *
I- La discordance entre la déclaration et l’intention :
Il n’est nullement exigé d’être très clairvoyant pour déceler aisément la discordance entre les objectifs proclamés (A) et les finalités recherchées (B).
A- Les objectifs proclamés :
Selon la centrale syndicale et les partis politiques ayant lancé ce «nouvel appel au secours», le dialogue projeté «est destiné à trouver des solutions aux problèmes politiques, économiques et sociaux». Cette déclaration aurait du être complétée par «créés par nous-mêmes».
Bien que certains analystes et politiciens affirment que le pays est sur la bonne voie sur le plan politique, il semble qu’il est envisagé de discuter d’une réforme de la loi électorale et de «l’ajustement du régime politique».
Sur les plans économique et social, les indicateurs d’une gestion de dix années post 2011 sous les auspices du parti islamiste Ennahdha sont tous au rouge en raison de la destruction des secteurs productifs, le recul de la croissance, la montée du chômage et de l’inflation, la détérioration du pouvoir d’achat, l’absence de toute politique monétaire équilibrée, le déficit budgétaire et l’accroissement de la dette extérieure.
Certaines situations risquent de s’avérer irrémédiables à l’exemple de la persistance des pressions sociales, l’aggravation de l’insécurité et de la pauvreté et ce, sans parler de cette montée fulgurante de l’analphabétisme.
S’il est vrai qu’on peut s’inspirer d’un raisonnement du célèbre Albert Einstein pour affirmer que ceux qui font partie du problème ne peuvent faire partie de la solution, il n’en demeure pas moins que le président de la république s’est démarqué des initiateurs du dialogue national en appelant à écouter les jeunes qui doivent être au centre de toute préoccupation.
B- Les finalités recherchées :
Devant la gravité de la crise et les maigres résultats de 10 ans de gestion catastrophique, les initiateurs du dialogue projeté aspirent, en fait, à être sauvés d’une impasse institutionnelle et à être excusés. Ils espèrent même trouver une astuce permettant d’arrêter la montée fulgurante de leur bête noire.
L’UGTT cherche à se débarrasser d’une pression interne des infiltrés soumis à un ordre venant de l’extérieur. En outre, elle est hantée par une prévisible restructuration-privatisation d’entreprises publiques, ce qui va la priver d’importantes ressources financières car les cotisations syndicales sont prélevées directement sur les salaires alors que cette pratique n’est pas faisable au secteur privé.
La présidence de la république a manifestement raison d’aspirer à remettre la légitimité populaire à la place qui lui sied, notamment, via l’extension du champ de sa participation dans la scène politique dès lors que le président de la république est élu au suffrage universel direct.
II- La concomitance de l’égoïsme et de la crise :
Il n’est pas dépourvu d’intérêt d’attirer l’attention sur les magouilles prévisibles (A) et d’appeler à étudier des propositions concrètes aidant à solutionner la crise (B).
A- Des manœuvres à redouter :
En 2013, le chef du parti Ennahdha a gagné le «dialogue» avant même de l’entamer et il faut rappeler que malgré l’accord portant sur la démission du gouvernement dans un délai de trois semaines, cette démission n’est intervenue que le 29 janvier 2014, soit trois jours après l’accomplissement d’une mission de taille, à savoir l’adoption d’une constitution qui est s’est avérée un handicap majeur au fonctionnement normal du régime politique actuel.
Dans cet ordre d’idées, il a déjà choisi les nouveaux ministres lui permettant de parfaire sa mainmise sur l’appareil de l’Etat et les secteurs névralgiques de l’économie nationale et a œuvré pour l’exclusion de certains partis politiques du «dialogue». En plus, il se propose de faire libérer son allié, Nabil Karoui, le président du parti Qalb Tounes, en affirmant qu’il est innocent alors que la procédure judiciaire dont il fait l’objet est encore en cours.
L’alternative d’extension des attributions du président de la république pourrait être détournée pour la réaliser selon l’expression «Hâtez-vous lentement» et le plan y afférent est entamé par l’éviction des ministres proches du président et les mises en scène au travers ces prétendues démissions de certains cadres d’Ennahdha qui sont partis au ramassage, pour le compte du temple, non pas d’escargots mais de ceux qui croient encore aux récits mensongers sur les indépendants ou sur l’islam light.
S’il est vrai que le chef d’Al-Karama et les CPRistes jouent le rôle de brebis galeuses et finiront par rentrer au bercail, il n’en demeure pas moins que l’UGTT risque de subir un dommage apparemment collatéral mais elle est visée.
En outre, il est permis d’ajouter que le gourou va tout se permettre si l’on déduit que la difficulté de compter sur les soutiens français et italien pour les ressources de la Loi de Finances 2021 car «on ne veut pas de nos terroristes sur notre territoire» va nous obliger à nous retourner vers les Qataris avec la bénédiction du cheikh, même si ça va nous demander de concéder d’énormes sacrifices.
B- Des propositions à étudier :
Sur le plan politique, il importe de préciser que le désaveu, des acteurs de la vie politique, par un électorat frondeur, prouvé de façon tangible, notamment par l’élection d’un président de la république non partisan, plaide en faveur l’extension des attributions du président de la république ; ce qui va corroborer sa position d’un président rassembleur.
La loi électorale, source d’une interminable instabilité gouvernementale doit être remplacée par une loi instituant un scrutin de liste majoritaire à deux tours.
Sur le plan économique, il importe d’examiner les propositions suivantes :
- relancer l’investissement privé et le soutenir par des mécanismes de crédit plus souples et mieux adaptés;
- réviser les systèmes d’incitations fiscales et sociales en faveur de l’emploi;
- assainir et restructurer les entreprises publiques et reprendre certaines de ses activités par les mécanismes de l’économie solidaire et sociale;
- procéder à une refonte des régimes de rémunération et de motivation pour améliorer la productivité et comprimer la masse salariale au niveau de tout le secteur public notamment par la révision du fléau des avantages en nature;
- résilier les conventions bilatérales d’échanges commerciaux qui s’avèrent nuisibles à l’économie nationale;
- durcir la règlementation répressive de la contrebande et du blanchiment d’argent.
Sur le plan social, je propose d’examiner les suggestions suivantes :
- introduire les outils d’analyse sociale dans l’entreprise notamment le bilan social et l’audit social selon un référentiel établi par secteurs et dont la mise en œuvre est suivie et évaluée par la présidence du gouvernement;
- instituer une politique migratoire;
- mener une action sérieuse et efficace pour éradiquer l’exclusion sociale et l’analphabétisme;
- étudier certains ajustements structurels : la formation professionnelle est plus proche du secteur de l’enseignement et l’emploi est une affaire sociale.
Rappelons que des juristes chevronnés ont déjà affirmé que le président de la république est en mesure de dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) d’autant plus que le danger imminent existe bel et bien; étant précisé qu’un bon responsable gouvernemental qui n’arrive pas à honorer son propre engagement n’a qu’à se comporter en véritable homme d’Etat : démissionner.
* Ancien attaché social à l’Office des Tunisiens à l’étranger.
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