Voix majeure du Québec, le poète Gaston Miron (1928-1996) peut être considéré comme la conscience identitaire, linguistique, littéraire et culturelle de cette belle province du Canada. Au point où, à son décès, on lui rendit hommage avec des obsèques «nationales».
Auteur du célèbre recueil ‘‘L’homme rapaillé’’, terme qui signifie éparpillé, dont on rassemble les morceaux, paru à Montréal, aux Presses de l’Université, en 1970, il n’avait cessé de retravailler son ouvrage qui fut réédité plusieurs fois dans de nouvelles versions, Maspero (1981), Gallimard (1999 avec les soins de Marie-Andrée Baudet), etc.
Gaston Miron a déclamé haut et fort son amour de sa langue, française, chantant son peuple, le Québec et sa liberté, appelant à une fraternité universelle, non sans s’allier, dans les années cinquante, aux causes de la décolonisation et des luttes nationales. Intellectuel engagé, marqué par la poésie de la résistance française comme celle d’Eluard, il fit de l’amour un thème essentiel de son expression poétique et politique. Poète et éditeur, il publia d’autres écrits : ‘‘Deux sangs’’; ‘‘Contrepoints’’; ‘‘Poèmes épars’’…
J’avais toujours du plaisir à le revoir à Paris, lors de ses passages. Il était un vrai messager amical et fraternel du Québec, en compagnie, souvent, de l’écrivain et ami fidèle, Jean Royer (1938-2019), fougueux et chaleureux, avec cet accent rocailleux, aux couleurs de sa terre.
Gaston Miron disait ses poèmes en jouant de l’harmonica, rythmant ses vers avec le pied, il avait le rire éclatant, la gestuelle complice; j’entends encore ses paroles lors d’une promenade dans sa voiture, dans la nuit montréalaise : «Regarde Tahar, toutes ces étoiles, ici on voit partout le ciel !».
Tahar Bekri
Je t’écris pour te dire que je t’aime
que mon cœur qui voyage tous les jours
-le cœur parti dans la dernière neige
le cœur parti dans les yeux qui passent
le cœur parti dans les ciels d’hypnose –
revient le soir comme une bête atteinte
Qu’es-tu devenue toi comme hier ?
Moi j’ai noir éclaté dans la tête
j’ai froid dans la main
j’ai l’ennui comme un disque rengaine
j’ai peur d’aller seul de disparaître demain
sans ta vague à mon corps
sans ta voix de mousse humide
c’est ma vie que j’ai mal et ton absence
Le temps saigne.
Quand donc aurai-je de tes nouvelles ?
Je t’écris pour te dire que je t’aime
que tout finira dans tes bras amarré
que je t’attends dans la saison de nous-deux
qu’un jour mon cœur s’est perdu dans sa peine
que sans toi il ne reviendra plus
Mon amour quand nous serons cachés côte à côte
dans la crevasse du temps limoneux
nous reviendrons de nuit parler dans les herbes
au moment que grandit le point d’aube
dans les yeux des bêtes découpées dans la brume
tandis que le printemps liseronne aux fenêtres
Pour ce rendez-vous de notre fin du monde
c’est avec toi que je veux chanter
sur le seuil des mémoires les morts d’aujourd’hui
eux qui respirent pour nous
les espaces oubliés
‘‘L’homme rapaillé’’
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