Le nouveau gouvernement intérimaire de Libye sera-t-il capable de conduire le pays hors d’une crise de longue durée, ainsi que sur les défis auxquels sont confrontés les dirigeants actuels du pays d’Afrique du Nord pour normaliser les relations entre les parties au conflit et créer les conditions préalables nécessaires à la tenue d’élections générales prévues le 24 décembre 2021.
Par Hassan Mansour *
La semaine dernière, le 17 février, les Libyens ont célébré le dixième anniversaire de la révolution qui a renversé le leader de longue date, le colonel Mouammar Kadhafi. La décennie qui a suivi le violent changement de pouvoir n’a pas permis à la Libye d’arriver au résultat souhaité. Mais au lieu de cela, le pays a été plongé dans des guerres sans fin et des troubles économiques, dont les conséquences n’ont cessé de frapper la Libye jusqu’à récemment.
En juin 2020, après que l’Armée nationale libyenne (ANL) dirigée par le maréchal Khalifa Haftar et les forces fidèles au gouvernement d’accord national (GNA) de facto aient établi un cessez-le-feu, les Nations Unies ont intensifié leurs efforts pour reprendre le processus politique.
Déterminer le sort de cette nation fatiguée par la guerre
Le Forum de dialogue politique libyen qui a été commencé par la cheffe par intérim de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye Stéphanie Williams a ouvert la voie à une solution diplomatique à l’impasse dans laquelle la Libye s’est trouvée après environ un an et demi des hostilités. De la première réunion en Tunisie début novembre 2020 à celle dernière à Genève en février, 75 membres du forum représentant la société libyenne dans son ensemble travaillaient pour déterminer le sort de cette nation fatiguée par la guerre.
Enfin, à la grande surprise de nombreux observateurs étrangers familiers avec l’agenda libyen, les participants au forum ont réussi à se mettre d’accord avec peu d’efforts sur les listes de candidats potentiels à des postes dans un gouvernement de transition, qui est censé remplacer les deux administrations rivales à Tripoli et Al-Bayda. Ce faisant, les représentants ont en fait accompli deux tâches principales: ils ont comblé le vide de légitimité du GNA conditionné par l’expiration de l’accord de Skhirat, ainsi ils ont mis fin à la lutte violente pour le pouvoir, en plaçant l’implémentation des réformes sous contrôle international.
Une nouvelle direction formée de politiciens peu connus
Il convient de noter que la liste des candidats gagnants, composée du président du Conseil présidentiel (PC), de ses deux adjoints et du Premier ministre, a semblé très différente des attentes de beaucoup observateurs. Le vote a donné la victoire à des politiciens peu connus non seulement parmi les experts étrangers, mais même aux Libyens eux-mêmes. Muhammad Younis Al-Manfi, un ancien diplomate, est devenu le chef du PC, tandis qu’Abdullah Al-Lafi et Musa Al-Quni ont été choisi comme ses adjoints. À son tour, Abdelhamid Al-Dabaiba, un homme d’affaires libyen de premier plan issu d’une famille influente de la ville de Misurata, a été nommé Premier ministre. Al-Dabaiba est censé superviser la nomination des ministres et la formation du soi-disant gouvernement d’unité nationale, qui conduira la Libye aux élections nationales prévues le 24 décembre.
La tenue d’élections générales est la mission première du nouveau gouvernement, de même que la réforme des forces armées, qui implique principalement leur unification, ainsi que le désarmement et l’élimination des groupes armés illégaux. Afin d’accomplir cette tâche ambitieuse, ce que leurs prédécesseurs n’ont pas fait depuis 2015, les dirigeants actuels du gouvernement intérimaire doivent tout mettre en œuvre, en gardant à l’esprit que toute manifestation de partialité ou de flirt avec des puissances étrangères au détriment des aspirations de la nation peut anéantir tous les progrès accomplis et déclencher à nouveau le conflit.
Des personnes «indésirables» à des postes de responsabilité
Ces considérations doivent à tout moment rester en tête de l’ordre du jour des autorités de transition, car de nombreux acteurs nationaux influents ne semblent pas pleinement satisfaits de la répartition actuelle du pouvoir et de la nomination de personnes «indésirables» à des postes de responsabilité. Parmi ces «indésirables», il y a un natif de Misurata Abdelhamid Al-Dabaiba. Après la révolution de 2011, la ville a exploité le port maritime et un accès facile au budget de l’État pour obtenir une indépendance virtuelle, en construisant une armée de milices nombreuses et bien équipées. Il est généralement admis que ce sont les groupes de Misurata qui ont apporté une contribution décisive à la levée du blocus de Tripoli en 2020 et à forcer Khalifa Haftar à retirer ses troupes de l’ouest de la Libye. L’élection d’Al-Dabaiba n’était que logique, car elle représente un résultat du conflit qui s’est terminé en faveur d’une coalition où Misurata a joué un rôle clé.
Il y a une autre circonstance qui pourrait potentiellement provoquer une démarche des élites dans l’est de la Libye, qui se souviennent encore de l’amertume de la défaite. La famille Al-Dabaiba a des liens étroits avec les dirigeants turcs et personnellement avec le président Erdogan. En particulier, Ali Al-Dabaiba, cousin du nouveau Premier ministre Abdulhamid Al-Dabaiba et autrefois maire de la ville de Misurata (1989-2011), qui a dirigé l’Organisation pour le développement des centres administratifs (ODAC) et a accordé aux entreprises turques 19 milliards dollars en contrats de construction libyens pendant son mandat.
Une priorité : minimiser le diktat de la Turquie ou de l’Occident
La question de l’engagement militaire de la Turquie constitue néanmoins un obstacle majeur à la normalisation des relations entre les parties au conflit. Ankara a activement soutenu le GNA dans la lutte contre l’ANL, en envoyant des milliers de mercenaires, de matériel militaire et de conseillers en Libye. L’ANL a mentionné à plusieurs reprises le retrait des forces turques comme une condition de la réconciliation nationale. De plus, Ali Al-Dabaiba a presque réussi à subvertir le travail du Forum de dialogue politique libyen en Tunisie, après avoir tenté de soudoyer ses participants pour les faire voter pour son cousin. Cet incident a provoqué un tollé du public libyen, forçant l’ONU à lancer une enquête sur les membres du forum.
À cet égard, le Premier ministre Abdelhamid Al-Dabaiba, ainsi que d’autres responsables du gouvernement nouvellement formé, devront relever le défi difficile de répondre aux attentes du peuple libyen et de la communauté internationale. Bien que les récentes réformes des organes gouvernementaux n’aient pas réellement changé l’équilibre des pouvoirs, gardant les gens fidèles aux alliés sincères du GNA au sein de la structure de direction, elles ont écarté les différences existantes entre les parties belligérantes, permettant de prolonger la trêve fragile et de relancer le processus politique.
Les dirigeants actuels de la Libye devraient dans un avenir proche se faire une priorité de minimiser le diktat de la Turquie ou de l’Occident et, si possible, d’empêcher leur nouvelle ingérence, ainsi que de maintenir la transparence du gouvernement intérimaire avant les élections générales. Même la moindre négligence de la neutralité et de l’indépendance, deux principes que le nouveau chef du Conseil présidentiel, Mohammed Al-Manfi, semble vouloir faire respecter, peuvent entraîner des conséquences catastrophiques et conduire à un retard indéfini dans le règlement du conflit libyen.
* Journaliste indépendant.
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