Ouverte en 2002, la Cité des Sciences de Tunis a joué un grand rôle dans la vulgarisation et la promotion des sciences en Tunisie. Aujourd’hui, elle a beaucoup perdu de son rayonnement culturel et de son aura scientifique, et s’est transformée en une usine à gaz bureaucratique. Une réaction s’impose pour redorer son blason.
Par Adel Zouaoui *
On se rappelle encore, comme si c’était hier, des critiques qui ont fusé de toutes parts à l’encontre de l’édification du premier centre des sciences en Tunisie, baptisé Cité des Sciences. «Comment ce petit pays du sud de la Méditerranée pouvait-il s’offrir ce qu’on considérait comme un luxe, n’y a-t-il pas d’autres priorités pour le pays ?», aimait à se demander les Cassandre ? Mais c’était sans compter avec l’appétence pour le savoir et la connaissance dont la Tunisie ne s’est jamais départie. Les exemples sont légion, de l’école polytechnique du Bardo, fondée en 1837 par le Bey Ahmed 1er, à la démocratisation de l’enseignement au lendemain de l’indépendance, en 1956, en passant par la création en 1875 de l’école Sadiki par le général Kheireddine Pacha.
Un espace de découverte, de débats et d’échanges
Le choix d’investir dans ce projet à caractère éducatif et culturel n’a donc rien d’exceptionnel. Il s’inscrit dans l’ordre des choses pour un pays comme le nôtre.
Ouvert il y a plus d’un quart de siècle, cet espace où on s’ingénie à faire aimer les sciences tous azimuts aux jeunes, aux moins jeunes et aux adultes, n’est plus à faire connaître aujourd’hui. À cheval entre les structures traditionnelles du savoir et de la connaissance d’une part et la société d’autre part, la Cité des Sciences à Tunis se distingue par une particularité qui lui est bien propre. Elle n’est ni un lieu d’apprentissage ou d’enseignement, ni un centre de recherche, mais plutôt un espace de découverte, de débats, de discussions et d’échanges où la science aime à se mouvoir en culture pour s’offrir généreusement à tous. Le but étant de donner le goût des carrières scientifiques aux jeunes et aux moins jeunes etde lutter contre l’irrationnel et le paranormal qui tapissent notre imaginaire collectif.
La démarche qu’elle a adoptée est l’une des plus originales. Elle invite les visiteurs, tous âges confondus, à découvrir la science, par le seul truchement des manipulations interactives composant plusieurs expositions ayant trait à différents thèmes. Elle éclaire également les citoyens toutes catégories confondues, à travers des conférences et des débats, sur les grandes questions qui agitent le monde aujourd’hui.
L’élan des débuts est freiné
Après le 14-Janvier 2011, la Cité des Sciences à Tunis n’était pas à l’abri de soubresauts que plusieurs institutions publiques ont connus. À la série des grèves syndicales a succédé la valse des départs de ses responsables. Depuis son élan s’est trouvé freiné.
Mais qu’à cela ne tienne. Qu’en est-il aujourd’hui ? Il est vrai qu’on continue à s’échiner tant bien que mal à relever le défi, celui de relancer la mécanique. Sauf qu’à la surprise de tous, on renoue aussi avec une façon de faire qu’on croyait surannée. On communique à tour de bras dans les médias sur une kyrielle de projets, sans que rien ne soit réellement concrétisé, sans donner de précisions ni sur la date de leur démarrage, ni sur les contours de leur contenu. On parle pêle-mêle d’ouverture de nouveaux villages scientifiques à l’intérieur du pays, d’actions de coopération avec la Chine, la Corée du Sud, le Japon, de l’acquisition de plusieurs bus qui transporteraient la science partout en Tunisie…
Parallèlement, et c’est là où le bât blesse, on a tendance à amoindrir l’importance de ce qui été accompli pendant les vingt-cinq dernières années pour faire valoir ce qu’on envisage de faire aujourd’hui. Sinon pourquoi pontifier sur le fait que la Cité des Science s’ouvre pour la première fois sur l’extérieur alors que la réalité est tout autre ? Tant s’en faut, cette dernière a toujours agi au sein des réseaux régionaux et internationaux en établissant des partenariats actifs aves des institutions similaires. Parler ainsi c’est peu connaître les belles pages que cette institution avait écrites sous la férule de plusieurs responsables malgré tous les aléas qui ont émaillé son parcours.
La bureaucratie remplace la créativité
Pis encore. On dévie la page Facebook de la Cité des Science de son objectif principal, celui de diffuser l’information autour de son programme d’activités, en la regorgeant de photos de réunions internes à l’administration, sans intérêt aucun pour le public. C’est comme si on cherche à magnifierà tout prix la moindre activité, aussi triviale soit-elle. Sinon en quoi de simples réunions pourraient-elles intéresser le citoyen lambda. N’a-t-on pas versé dans la propagande ?
Il n’y a qu’à jeter un regard sur la page Facebook de la Cité des Sciences et de l’Industrie la Villette pour prendre la mesure de cet impair. Seules les activités de cette prestigieuse institution sont mises en perspective. Les photos des responsables n’apparaissent jamais, parce qu’elles n’intéressent personne.
Venons-en au site web. Cela fait quelques temps déjà qu’il n’a pas été correctement mis à jour. Et pour cause, il contient encore une version électronique d’un bulletin d’information rapportant les activités des mois d’octobre, novembre et décembre 2016. Et ce sans parler du désordre au niveau de la présentation de l’information sur les trois versions arabe, française et anglaise. Lesquelles, à cause de leur asymétrie, prêtent à confusion et font probablement dérouter ceux et celles qui les consultent.
Autre impair et non des moindres apparaît dès qu’on pénètre à l’intérieur de cette institution. Au desk d’accueil, il n’existe aucun dépliant à offrir aux visiteurs pour les informer sur le contenu des espaces qu’ils s’apprêtent à visiter et surtout sur l’histoire des vestiges antiques autour duquel cette institution a été édifiée.
Quant à l’édition, considérée comme une autre déclinaison de la vulgarisation des sciences, elle est au point zéro et prive la Cité des Sciences à Tunis de son aura culturelle et scientifique.
Force est de rappeler aussi que cette infrastructure demeure encore au stade d’un projet inachevé. Et pour cause, la passerelle et l’Arborétum, initialement faisant partie intégrante de ce projet, n’ont jamais été ouverts au public. Ces deux grandes composantes n’ont jamais été intégrées au circuit de visite depuis l’ouverture officielle de cette institution en 2002.
Enfin, faut-il plutôt s’atteler à la tâche, très sérieusement, en restaurant ce qui a été dispersé, déconstruit ou inachevé que de s’y perdre dans la multiplication des effets d’annonce et le trop plein de communication. Car parler avant d’agir c’est aller vite en besogne ce qui risque à la longue de rejaillir sur la crédibilité de cette institution.
Pour conclure, il est plus que nécessaire de pallier toutes ces défaillances pour permettreà la Cité des Sciences à Tunis de retrouver sa superbe, en continuant à accomplir sa noble mission, celle de démocratiser la science à une large échelle.
Car il est plus qu’important aujourd’hui de prendre conscience de la chance inouïe de compter parmi nos institutions culturelles un espace ouvert pour tous où le savoir et la connaissance s’offre en partage. Un véritable fanal qui illumine un ciel assombri, par les temps qui courent, par la montée de tous les extrêmes et de toutes les intolérances.
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