La scène était surréaliste: Seifeddine Makhlouf, l’avocat des terroristes, s’est déplacé hier, lundi 14 mars 2021, à l’aéroport de Tunis-Carthage pour faire valoir le droit d’une voyageuse fichée S 17 de quitter le territoire tunisien et contraindre ainsi la police des frontières à ignorer l’interdiction à laquelle cette citoyenne est soumise… Nous en sommes arrivés à ce point où un député fait la loi dans l’enceinte de l’Assemblée et s’arroge le droit de l’enfreindre dans la rue.
Par Moncef Dhambri *
Cette situation déplorable est la résultante de plusieurs raisons.
Tout d’abord, il y a cette erreur flagrante d’interprétation de la part du président de la Coalition d’Al-Karama, filiale du parti islamiste Ennahdha, de ce qu’est en réalité l’immunité parlementaire. Dans une démocratie digne de ce nom, celle-ci n’est pas un chèque en blanc : il ne s’agit en aucun cas d’une protection sans limite accordée au représentant du peuple. Dans le cadre de son mandat, la loi offre au député une garantie d’exprimer librement ses opinions et d’émettre les votes qu’il souhaite. L’on est loin d’un privilège qui autoriserait un élu de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) de faire ou de dire n’importe quoi.
La politique du mélange des genres
Un député est donc un justiciable comme tous ses concitoyens et l’immunité qui lui est octroyée pour l’exercice de ses fonctions ne le place nullement au-dessus de la loi.
Autre confusion dans l’esprit de M. Makhlouf consiste à mélanger les genres : hier, était-il représentant du peuple, avocat dont un grand nombre de clients sont justement des personnes fichées S 17 ou exécuteur de la loi ?
De toute évidence, son voyoutisme, qui n’est plus à démontrer, lui a permis de faire fi de la séparation des pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif. En de nombreuses reprises par le passé, l’élu de la première circonscription de Tunis a eu des démêlées avec la justice et ses écarts n’ont jamais donné lieu à une sérieuse correction. C’est ainsi que, pour cet homme qui ne s’est jamais embarrassé des règles, son immunité parlementaire est devenue impunité.
Est-il le seul, me diriez-vous ? La réponse, nous la connaissons tous : les législatives de 2019 ont ouvert le Palais du Bardo à des énergumènes dont notre jeune et fragile démocratie se serait bien passée. L’on trouve dans l’ARP les contrebandiers, les magouilleurs, les corrompus, les vauriens, les malhonnêtes, les imposteurs, les rétrogrades, les incultes, les incompétents… Je sais que ma liste est incomplète et qu’il y a certainement d’autres catégories de personnes infréquentables que j’ai omises.
La démocratie du chaos généralisé
Tels étaient nos choix, tels étaient nos bulletins de vote et notre système électoral. Et, aujourd’hui, nous récoltons ce que l’on a semé en 2019, 2014 et 2011 : à chacune de ces occasions, «le peuple a voulu» élire ceux qu’il a voulus…
À présent, nous en sommes, tous, à constater que plus rien ne va dans le pays. Nous assistons impuissants face à l’effondrement de l’économie, au déclin des institutions de l’Etat et à l’instauration de la loi du plus immoral.
Le chaos généralisé auquel nous assistons, aujourd’hui en Tunisie, est le fruit amer de ces attitudes populistes devenues pratiques courantes de nos gouvernants, depuis le jour où l’avenue Habib Bourguiba a dégagé Zine El-Abidine Ben Ali. À partir de ce moment-là, certains de nos compatriotes –et ils sont, malheureusement pour la Tunisie, très nombreux– ont appris qu’ils peuvent tout obtenir par la simple défiance de la loi et de l’ordre. Ce qui vaut pour les sit-inneurs d’El-Kamour vaut également pour tant d’autres mouvements de protestation dans d’autres régions du pays. Il vaut aussi pour Seifeddine Makhlouf…
Et cette logique anarchiste que nous subissons au quotidien et ces bras d’honneur sans cesse adressés à la loi et l’Etat mènent la Tunisie tout droit dans le mur.
* Universitaire.
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