A priori, le gouvernement Mechichi semble bloqué par le refus du président Saïed de présider la cérémonie de prestation de serment des nouveaux ministres ayant bénéficié du vote de confiance de l’Assemblée. Mais il reste au Premier ministre une porte de sortie. Est-il assez hardi et courageux pour affronter le défi ?
Par Helal Jelali *
Hichem Mechichi est de plus en plus sûr de lui et ses réponses à Kais Saied sont cinglantes : «inutiles et hors contexte» était sa réponse aux dernières déclarations du président de la république à propos de la nomination des hauts responsables des forces de sécurité intérieure, qui devrait, selon lui, avoir aussi l’aval du Palais de Carthage.
La fermeté du Premier ministre, qui a choisi l’affrontement, et son activisme effréné de ces dernières semaines suggèrent deux hypothèses : outrecuidance et imprudence ou stratégie bien affinée.
Être d’accord avec ses arrière-pensées
La première hypothèse dénoncée par de nombreux observateurs comme irresponsable et suicidaire semble aujourd’hui improbable. Reste donc, la deuxième, celle du dernier joker dans les mains de M. Mechichi. Comme le disait De Gaulle lors de la crise sociale de 1968 : «Il faut être d’accord avec ses arrière-pensées.»
Le Premier ministre va-t-il choisir d’accepter un plan d’austérité qui ne manquera pas d’être «suggéré» (le mot imposé serait peut-être plus juste) par le Fonds monétaire international (FMI), dont la Tunisie sollicite un nouveau prêt de 4 milliards de dollars (11 milliards de dinars tunisiens) pour boucler son budget de l’exercice en cours, la Banque mondiale et l’Union européenne, et bénéficier ainsi de leur soutien ?
M. Mechichi, dont les arrière-pensées semblent de plus en plus à découvert, avaliserait volontiers un plan d’austérité des bailleurs de fonds, à condition que ces derniers négocient avec Kaïd Saïed une «paix des braves» entre la Kasbah et Carthage. Les institutions financières internationales ont l’habitude et les leviers pour ce genre de médiation. Ce sont de vieilles écoles de la diplomatie économique.
Être impopulaire, plutôt qu’irresponsable
Depuis une semaine, de nombreux observateurs et médias ne cessent de dire que la délégation partie à Washington, présidée par le ministre des Finances Ali Kooli, et dont fait partie le président de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), Samir Majoul, va proposer au FMI le redéploiement des subventions alimentaires, la réduction du nombre des fonctionnaires avec un programme de départs à la préretraite qui ne seraient pas remplacés, ainsi que la cession par l’Etat de ses participations dans certaines entreprises opérant dans des secteurs non-stratégiques et la flexibilité de change pour la dinar.
M. Mechichi a-t-il choisi la voie de l’ancien Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing, Raymond Barre, qui présentait son programme de rigueur au milieu des années 1970, en déclarant : «Je préfère être impopulaire, qu’irresponsable…»
Reste une question, les conséquences sociales de cette voie seront difficiles à contenir. Quelle sera la réaction de Carthage face à fronde sociale? Quand à l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui a refusé de faire partie de la délégation tunisienne actuellement à Washington, elle navigue à vue, comme à son habitude, et cache son jeu, sa communication adressée à ses adhérents ne correspondant nullement à ses choix sociaux dans les coulisses du pouvoir.
Ce qui est clair, en revanche, c’est que les réunions de M. Mechichi avec les partenaires sociaux à Beit Al Hikma ont été un marqueur pour la position de chaque partenaire face à un possible plan de rigueur. Pour preuve, le lendemain de ces réunions, les participants se sont rués vers des rencontres tunisoises avec les partenaires économiques de la Tunisie.
En recevant le député et secrétaire général du parti Echaab, Zouhair Maghzaoui, le président de la république a évoqué la possibilité d’un dialogue national, solution qu’il avait jusque-là ignorée. A-t-il flairé les manœuvres de son ancien poulain devenu son pire ennemi. Décidément, depuis 10 ans, entre la Kasbah et Carthage, c’est plus que les contes des ‘‘Mille et Une Nuits’’ à la sauce tunisienne. Je penserais plutôt aux fables animalières de ‘‘Kalila et Dimna’’.
* Ancien journaliste tunisien basé à Paris.
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