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Kaïs Saïed : la popularité ne saurait tenir lieu de programme politique

Un chouïa nassérien au Caire, compassionnel avec les démunis à la cité Ettadhamen, très virulent quand il s’agit de la cause palestinienne ou de la lutte contre la corruption, voici quelques traits qui structurent le discours du président de la république Kaïs Saïed. Il prend la Constitution de 2014 pour un programme politique et passe beaucoup de temps sur la défensive pour protéger son «pré carré» carthaginois. Et pour exister politiquement, il ne cesse de dénoncer cette cohabitation avec les islamistes à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).

Par Helal Jelali *

Le bras de fer, ouvertement pugnace, autour de la «partition» des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif, annonce un affrontement politiquement assez brutal.

Il semble que le président de la république veut en finir avec 10 ans de gabegie socio-économique et de défaillance institutionnelle. Mais tout observateur est en droit de lui poser une simple question : dans cette situation inique, pourquoi ne pas dissoudre le parlement ou invoquer l’article 80 de la Constitution qui lui confère des pouvoirs presque exceptionnels, sans oublier l’initiative d’un référendum? Il semblerait qu’il ait choisi, depuis janvier dernier, de monter au front crescendo, une stratégie qui lui donne le temps de tester la réactivité de ses adversaires, de convaincre le peuple de sa juste cause, de comptabiliser ses appuis à l’intérieur et de rassurer les créanciers et ses amis à l’étranger.

Saied s’enferme dans la cage de l’ambivalence et de l’ambiguïté

Sans entrer dans une analyse de la syntaxe du président, on remarquera qu’il hésite à agir, à décider et à prévoir la suite d’une éventuelle initiative constitutionnelle.

Le défi qui le guette, ce serait l’enfermement dans la cage de l’ambivalence et de l’ambiguïté.

A-t-il choisi, face à ses adversaires, la guerre d’usure et celle des tranchées. Dans ce cas, il risquerait de lasser ses soutiens populaires. En politique, la popularité et l’adhésion des électeurs ne sont jamais une rente ad vitam aeternam. Souvent, entre la popularité et la défiance, le fil est bien mince. L’histoire est riche en retournements de situations dans ce chapitre politique.

Ne l’oublions jamais : les électeurs adhérent à un discours, mais, juste après, ils jugent les actes de l’élu. Évitons la confusion entre le peuple et les électeurs.

Kais Saied est toujours en haut du tableau dans les sondages de popularité, mais il faudrait être prudent, certains politologues considèrent les sondages des «faiseurs d’opinion» dans une période assez limitée. Leurs résultats évacuent tout courant politique divergent et préfèrent rassurer les électeurs en les confinant dans un certain conservatisme.

L’erreur serait de se fier aux seuls sondages

Aujourd’hui, nous sommes, selon les derniers sondages, dans un croisement paradoxal : Kais Saied serait élu à nouveau et la présidente du Parti destourien libre (PDL), Abir Moussi, aurait une forte majorité au parlement. Paradoxe, flou, ou plus grave : duperie.

Deux exemples de cette duperie : en 1995, avant la présidentielle en France, tous les sondages donnaient le candidat Édouard Balladur largement vainqueur face à Jacques Chirac et Lionel Jospin, au premier tour, il finit 3e, donc éliminé…

En 2002, aucun institut de sondage n’avait prévu l’arrivée du candidat du Front National, Jean-Marie le Pen, au 2e tour.

En résumé, les sondages sont du marketing… politique, et pourraient être instrumentalisés dans la manipulation de l’opinion.

Peut-on construire une identité politique, uniquement, sur la popularité? Ce choix semble bien hasardeux… Peut-on réformer la Constitution quand on n’a ni un programme politique ni un parti pour mobiliser ses forces vives?

Le Président de l’ARP et d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, a réussi un coup de maître, avec les crises successives qu’il a alimentées au cours des six derniers mois : il a évacué la crise interne au sein de son parti et fait taire les frondeurs. En ce moment, c’est l’union sacrée à Montplaisir, le quartier de Tunis où se trouve le siège d’Ennahdha.

Les dirigeants islamistes activent leurs relais contre le président de la république, mais ils ne sont plus crédibles, et Kaïs Saïed commence par s’en apercevoir. Comme il a commencé à se rendre compte qu’ils ont perdu quelques alliés à l’étranger avec la pacification de la Libye et l’effondrement de l’économie turque.

La débâcle des finances publiques, qui s’annonce pour le mois de juin prochain, rendez-vous de la prochaine notation de la Tunisie par Moody’s, après la fin des négociations avec le Fons monétaire international (FMI), la Banque Mondiale (BM) et l’Union Européenne (UE)), offrirait au locataire du palais de Carthage une occasion inespérée pour détricoter l’agenda ronronnant d’Ennahdha et de ses alliés, Qalb Tounes et Al-Karama.

C’est dans l’action que les électeurs jugent un homme politique

Aujourd’hui, l’erreur commune à Carthage comme au Bardo, c’est qu’ils croient que la Constitution est un programme politique… Ce qui accentue la défiance populaire. En clair, la préoccupation des Tunisiens n’est pas la gesticulation autour de la Constitution, mais plutôt les urgences économiques.

Kaïs Saied s’est engagé dans un élan politique salutaire, presque seul contre tous. A-t-il été inspiré par De Condorcet qui écrivait : «Quand le danger est plus grand, le salut devient plus proche» ?

Jusque-là, le président de la république a construit son identité politique sur des «niet» successifs, niet à la nomination de certains ministres, niet à la Cour constitutionnelle, niet à l’abandon du ministère de l’Intérieur, il est temps, pour lui, de s’engager dans un projet politique alternatif et de passer à l’action. Car c’est dans l’action que les électeurs jugent un homme politique.

Enfin, ce sont les médias qui participent à la sédimentation de l’identité politique d’un leader, et dans le cas de M. Saied, c’est le vide sidéral.

Monsieur le président de la république, avez-vous déjeuné avec un journaliste depuis votre élection? Ils ne sont pas tous pourris quand même…

* Ancien journaliste tunisien basé à Paris.

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