La complaisance avec l’islamisme politique tient à la fois de la naïveté et de l’aveuglement des Occidentaux. La correspondante du journal ‘‘Le Monde’’ à Tunis, Lilia Blaise, et la chaîne Arte, dans sa récente sa soirée Thema consacrée au «Printemps arabe», en offrent des exemples frappants en faisant encore crédit à la soi-disant «démocratie islamique» pour ne pas dire islamiste.
Par Sadok Chikhaoui *
Les Tunisiens avaient attendu longtemps avant que le journal ‘‘Le Monde’’ et sa correspondante, la journaliste franco-tunisienne Lilia Blaise, viennent leur apprendre des vérités qu’ils ignoraient. D’un article à l’autre, il leur est répété que les Destouriens, héritiers de Bourguiba, regroupés dans un parti laïc (le Parti destourien libre, PDL) autour de Abir Moussi, une femme charismatique et téméraire, mais peu diplomate, donnés largement vainqueurs en cas de nouvelles élections, sont de vilains droitiers, nostalgiques de l’ancien régime. Entendez du régime de Habib Bourguiba, l’homme des Lumières qui a libéré la femme, généralisé l’enseignement, et fait de ce petit pays sans ressources, une exception parmi les pays arabes dans de très nombreux domaines.
Lilia Blaise croit aux desseins réformateurs des islamistes
Lilia Blaise n’a curieusement ou heureusement pas repris le qualificatif de «fasciste» (il c’en est fallu de peu) dont le parti Ennahdha, au pouvoir, affuble les militants du PDL et se contente de l’indéfini «de droite» qui n’a aucun sens en Tunisie et parce que c’est un qualificatif qui siérait davantage à Ennahdha, tant par ses référentiels conservateurs, archaïques voire islamistes (n’ayons pas peur de la précision), et ses méthodes dictatoriales, que par le soutien sans faille que ce parti apporte aux phalanges takfiristes et violentes auxquelles il est adossé au Parlement. Sans parler de la nostalgie du rêve islamiste d’un retour à un lointain âge doré, celui des pieux ancêtres d’il y a 14 siècles.
Et, reprenant le crédo d’Ennahdha, qui semble fournir l’essentiel de l’argumentaire de Lilia Blaise, la préoccupation majeure d’Abir Moussi serait de perturber les travaux du parlement dans le but d’empêcher les islamistes et leurs alliés de mener à bien leurs desseins réformateurs.
Et qu’en outre elle pérore en casque et gilet pare-balles dans l’enceinte d’un parlement où elle ne court aucun risque, juste pour attirer l’attention. Mais quand on a vu, comme tous ceux qui habitent en Tunisie, les scènes de violence à l’encontre de Abir Moussi et des députés du PDL allant jusqu’à la violence physique, les menaces de mort, et les insultes sous le regard complaisant du président du parlement, Rached Ghannouchi, par ailleurs président du parti Ennahdha, on reste pantois à se demander si Lilia Blaise parle bien de la Tunisie.
Lilia Blaise n’aime pas Abir Moussi et elle le montre dans ses articles
Et quand elle décrit Madame Moussi munie d’un mégaphone, «pour perturber les séances», sans dire qu’elle a été quasiment interdite de parole, que son micro est constamment coupé par le président du parlement, et qu’elle a été interdite de participer aux plénières et aux réunions du bureau de l’Assemblée, dont elle est pourtant membre de droit, le doute se renforce.
Elle est également perturbatrice quand, en plein hiver et dans le froid, elle dresse pendant 4 mois, avec ses sympathisants, des tentes devant le siège de la succursale tunisienne de la controversée Union internationale des savants musulmans, fondée par le prédicateur Youssef Al-Qaradaoui, pour protester contre le travail d’endoctrinement des jeunes tunisiens et leur enrôlement dans le jihad islamique, mené sous couvert de formation religieuse.
Ennahdha qui instrumentalise avec maestria et exclusivement à son profit les principes d’une démocratie qu’elle a du mal à appliquer en interne, est rompue à l’art de la désinformation qui fait partie de sa politique de clientélisme généralisé est devenu comme par magie un parti, qui aspire à un positionnement centriste sous la houlette de son chef, un ancien enseignant renvoyé plus d’une fois de l’enseignement public et devenu, par la grâce de la même baguette magique et de Mme Lilia Blaise un grand intellectuel et un théoricien de l’islam politique BCBG.
La montée de l’islamisme radical ne dérange pas Mme Blaise
Fi de dix années de gabegie, d’incompétence, et de manœuvres, au cours desquelles Ennahdha a gouverné sans discontinuer, directement ou en sous-main, dévastant ce pays fragile qui n’a pour ressource essentielle que son ouverture sur le monde et la créativité de son peuple pour le rendre un Etat défaillant, surendetté, déclassé plus de 8 fois par les agences de notation internationales, avec un chômage supérieur à 30% et 46% de la population qui vit en-dessous du seuil de pauvreté, à un point tel que le Programme alimentaire mondial (PAM), relevant des Nations-Unis, vient de décider de distribuer des bons d’alimentation pour 1500 familles nécessiteuses, comme naguère au Biafra ou en Ethiopie.
Fi d’une Tunisie, devenue un des principaux pourvoyeurs de jihadistes au Moyen-Orient, en Afrique et en France et que de lourds soupçons pèsent sur Ennahdha et le rôle glauque joué par certains de ses responsables dans l’envoi de milliers de jeunes dans les zones de conflit au moment où le parti occupait des positions clefs (présidence du gouvernement, ministères de l’Intérieur, de la Justice, des Affaires étrangères, du Transport…).
Fi d’un parlement où pérore un parti takfiriste, Al-Karama, soutenu à bout de bras par le parti islamiste, sous l’œil affectif et mielleux de Rached Ghannouchi, et qui entretient un climat de menaces, de terreur et de délation, l’immunité parlementaire lui servant de cuirasse et de permis pour tout faire.
Le chef de ce groupement devenu parti, Seifeddine Makhlouf, est surnommé l’avocat des terroristes, pour avoir parmi sa clientèle des célébrités du terrorisme. Cinquante-deux députés, élus en vertu d’une loi électorale qui n’établit aucun seuil, sont en délicatesse avec la justice pour des affaires de corruption, de détournement ou de violence.
La «bienpensance» occidentale et la «démocratie islamique»
La complaisance avec l’islamisme politique (que d’aucuns appellent l’islamo-gauchisme) tient à la fois à la fois de la naïveté et de l’aveuglement des Occidentaux. Elle remonte à l’époque ou les exilés politiques d’Ennahdha (Ghannouchi, Karkar, Mokni…), aguerris à l’art du lobbying, arpentaient les couloirs des salles de rédaction et les antichambres des chancelleries pour plaider leur martyrologie et faire la retape pour leur marchandise, celle d’une «démocratie islamique», oxymore à laquelle toute la «bienpensance» avait cru. Certains tels Alain Juppé, ancien ministre française des Affaires étrangères, en avait fait les frais avec ses envolées lyriques sur «l’identité heureuse» inspirés par Tariq Oubrou.
Mais cette marchandise a très vite buté sur le dur socle de la réalité. Au pouvoir, ils ont montré leur limite dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, mais apparemment ‘‘Le Monde’’ et Arte, dans sa récente soirée Thema consacrée au «Printemps arabe», croient encore à la «démocratie islamique» pour ne pas dire islamiste.
* Enseignant.
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