Le président Kaïs Saied, qui dit à qui veut l’entendre et qui ne veut pas l’entendre, qu’il est le Robin du palais, répétant inlassablement qu’il est du côté du peuple, a invité quatre chefs de gouvernement, qui représentent à eux quatre tout ce que M. Saied prétend exécrer et combattre, pour une raison qui le regarde. Mais vous, qui avez dit que vous seriez toujours du côté du peuple, de quel peuple parlez-vous exactement?
Par Meriem Bouchoucha *
Faisons un rapide tour de la table de M. le président, allons de sa droite à sa gauche.
Hichem Mechichi, chef de gouvernement en poste, choisi par le président lui-même, a à son actif au moins un décès dans un poste de police quand il était ministre de l’Intérieur et depuis qu’il est chef de gouvernement et/ou ministre de l’intérieur par intérim : 2000 arrestations, la mort d’un détenu privé de médicaments à Sfax, un manifestant tué par bombe lacrymogène à Kasserine, une personne tuée dans des circonstances douteuses à Sidi Hassine, une reproduction d’une scène de Abou Ghrib dans le même quartier et des milliers de cas de harcèlement, d’arrestations abusives et de torture, sans parler de son oppression qui commence à devenir de plus en plus systématique contre le Parti destourien libre (PDL), parti de l’opposition. Dernièrement, et grâce au chef du gouvernement, la Tunisie a été épinglée, le jour de votre réunion, par le Haut commissariat des droits de l’homme.
Youssef Chahed, chef de gouvernement entre 2016 et 2020, a à son actif des dizaines d’arrestations particulièrement en 2018 suite au vote de la loi de finances de la honte dont on subit actuellement les conséquences. Les peines de prison prononcées sont allées jusqu’à cinq ans de prison ferme. L’Onu a dû intervenir au moins deux fois notamment après des arrestations qui ont été considérées comme infondées, celles de Imed Achour et Saber Laajili, des hauts cadres sécuritaires, et celle de Moncef Qortas, un fonctionnaire des Nations unies, des considérations qui n’ont pu être réfutées par son gouvernement.
Parti du pouvoir, laissant un taux de croissance négatif et un bilan marqué par le meurtre de Omar Laabidi, le jeune supporteur du Club africain, devenu la figure emblématique de l’oppression organisée des jeunes du pays, mais également par la mort des femmes de Sabala et les nourrissons de Tunis et de Nabeul. L’ère de Chahed a été marquée par le retour en puissance de l’oppression policière.
Elyès Fakhfakh, ministre du Tourisme, puis des Finances, sous la «troïka», l’ancienne coalition gouvernementale conduite par le parti islamiste Ennahdha, a ouvert le bal de l’endettement et a parrainé la spoliation des contribuables alors que les services de la douane ont complètement échoué (ou laissé faire sous ses ordres) à freiner la contrebande qui a euthanasié l’économie nationale. Il était par ailleurs membre du gouvernement quand trois assassinats politiques ont eu lieu : Lotfi Nagdh qui a été lynché devant les caméras en octobre 2012, Chokri Belaid et Mohamed Brahmi tués par balles en bas de chez eux, en février et juillet 2013. Des assassinats survenus après des vagues de diabolisation menées par le parti de ses chefs de gouvernements. M. Fakhfakh a été nommé par vous monsieur le président, en tant que chef de gouvernement, en janvier 2020, et a démissionné de son poste, la même année, suite à des allégations de conflits d’intérêts donc de corruption, n’en déplaise à M. Abbou.
J’ai laissé le morceau de choix pour la fin, Ali Larayedh, ministre de l’Intérieur en 2012 puis chef de gouvernement en 2013, il a été le dirigeant malveillant lors des assassinats de Nagdh, Belaid et Brahmi. N’a-t-il pas tu le document qui prévenait le ministère de l’Intérieur de l’assassinat de Brahmi et n’en a-t-il pas été par conséquent le complice direct ? M. Fakhfakh et lui ont été membres d’un gouvernement qui a crevé les yeux de plusieurs habitants de Siliana et sous l’égide duquel on a vu proliférer le terrorisme en Tunisie. Ils ont tous deux couvert l’illégitimité de l’Assemblée nationale constituante (ANC) à partir du 23 octobre 2012. Son mandat était limité à une année, il a duré trois ans.
Et ce n’est là qu’une liste non exhaustive des crimes et des exactions, on n’a pas parlé de la jeune Farah tombée dans une fosse d’égout à Bhar Lazreg, Maha et Yakine de Jendouba, Youssef Selmi de Gabès, Thamer et Maher Fakraoui de Kasserine et la liste est encore longue. Mais ce n’est là, qu’un billet, on n’a rien oublié et on vous promet qu’on ne vous laissera pas oublier ni vous ni vos convives.
Voyez-vous monsieur le président, vous êtes entouré de quatre personnes dont le bilan n’est pas uniquement une crise économique sans précédent; à ce niveau personne ne peut affirmer qu’il aurait pu faire mieux, mais ils ont conduit le pays à sa perte.
Alors monsieur le président, à moins que vous soyez du côté du peuple de la planète sur laquelle vous croyez vivre, je ne vois comment vous pouvez prétendre défendre le peuple, le nôtre.
* Docteur en économie.
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