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Djerba : Le site archéologique de Henchir Bougou réduit en décharge

Rien n’est jamais assez quand il s’agit d’écrire pour déplorer le piteux état de désolation et d’abandon dans lequel sombre un site archéologique aussi important que celui de Henchir Bourgou, dans l’île tunisienne de Djerba : il n’est et il ne sera jamais assez pour dénoncer l’indifférence et l’insouciance des autorités locales, communales en premier lieu, à l’égard des atteintes à répétition affectant gravement l’intégrité et l’authenticité de ce prestigieux site, réduit quasiment à néant.

Par Naceur Bouabid *

Son importance historique attestée par les milieux scientifiques, même à l’échelle internationale, et son statut de site témoin d’une très ancienne occupation humaine que des fouilles récentes font remonter à 13 000 ans, n’ont pas suffi pour secouer la conscience de qui de devoir d’agir. Les 23 hectares que couvre le site demeurent sans clôture; le site est, de ce fait, livré à lui-même, laissé à la merci des spéculateurs cupides et des pollueurs sans foi, exposé à tous les outrages: destruction en règle à la pelle mécanique, spéculation foncière, falsifications des contrats de vente de terrains archéologiques.

Sami Ben Taher, archéologue chargé de recherche à l’Institut National du Patrimoine (INP), à l’encontre duquel des menaces de représailles ont été proférées par ces marchands des lieux de mémoire, a dû ramer seul contre vents et marées avant de parvenir à faire échouer ces desseins malveillants empreints de corruption.

L’insalubrité et la désolation dans toute leur splendeur

La visite du site constitue aujourd’hui une torture morale inégalable et une source de souffrance, tant sont insalubres les lieux, désolants, dévalorisés et enlaidis, notamment au niveau du mausolée-tour surgissant au sud du site.

Ce monument funéraire, construit par un prince indigène au IIe s. av. J.C, est assiégé par des tas de gravats et des déchets de construction jetés par des énergumènes, qui ont fait de cette sale besogne métier et profession. Trouvent-ils un terrain vague ou une propriété privée loin des yeux, pourvu qu’elle soit accessible à leurs engins, pour y déverser, pêle-mêle, leur cargaison. Aussi, des foyers de pollution et de nuisance pullulent-ils dans tout le territoire de l’île; le site de Henchir Bourgou en fait malheureusement partie.

Pourtant, il n’est pas loin des yeux, étant à peine à une centaine de mètres d’une route principale, et presqu’à égale distance du méga centre commercial, que tous les responsables locaux et les conseillers municipaux fréquentent incessamment. Mais pour inclure dans leurs agendas, visiblement trop chargé, des visites de routine à cet important site, et aux autres de même notoriété relevant de leur autorité, pour constater de visu l’état des lieux prévalant, ces responsables communaux n’ont point de hâte et ne sont pas prêts à admettre l’utilité et l’urgence d’une telle mission de routine.

En 2015, les étudiants de l’Iset, ahuris par l’état vergogneux du site qu’ils côtoyaient au quotidien, ont pris l’initiative de mener une vaste campagne de nettoyage du site, avec le concours de l’Association pour la sauvegarde de l’île de Djerba (Assidje) et de l’Institut national du patrimoine (INP), et avec la contribution logistique de la commune de Midoun, dont les responsables se sont engagés, alors, à veiller dorénavant sur la salubrité du site. Mais, il n’a pas fallu longtemps pour que ces engagements-là s’avèrent sans suite, que les contrevenants reprennent impunément leurs viles besognes et que le site replonge dans l’insalubrité et la laideur.

Une source d’attraction culturelle et touristique à l’abandon

A Henchir Bourgou, aujourd’hui, la laideur est dans toute sa splendeur, et la désolation hante ingratement ce haut lieu de mémoire. N’est-il pas honteux de laisser dépérir un site historique d’une telle importance pour être réduit au sort ingrat et indigne de décharge? Qu’attendent les responsables communaux, les services compétents en charge du patrimoine et du tourisme pour se mettre autour de la table, discuter de la situation peu reluisante dans laquelle se trouvent plusieurs composantes emblématiques du riche patrimoine culturel insulaire, et envisager les solutions idoines à même de les réhabiliter dans leur dignité bafouée et leur rendre leur éclat d’antan ?

Sous d’autres cieux, où la notion de patrimoine prime, un site pluriséculaire d’une telle notoriété historique, aurait été paré de tous les soins inimaginables pour constituer une source intarissable d’attraction culturelle et touristique; sous les nôtres, malheureusement, cette notion est tarie dans sa source.

* Activiste de la société civile.

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