En visite, hier, samedi 24 juillet 2021, à Gafsa, le président de la république Kaïs Saïed est revenu à sa lubie idéologique, la démocratie participative comme remède absolu à tous les maux de la démocratie représentative instaurée en Tunisie par la Constitution de 2014, devenue purement formelle et de pure apparat, recyclant un vieux système fondé sur le clientélisme politique et la corruption à tous les étages. Populistes à souhait, ses propos peuvent séduire des jeunes précarisés par la crise et frustrés par la confiscation de la révolution de 2011, dont ils espéraient un changement profond qui n’est finalement pas venu, mais leur socle idéologique est non seulement vague, fait de bric et de broc philosophique, mais, confronté à la réalité du terrain, a de quoi inspirer des inquiétudes. Dans cette série d’articles, l’auteur interroge ce socle idéologique et en montre les incohérences.
Par Mounir Chebil *
C’est un secret de polichinelle que de dire que la Tunisie est au bord de la faillite économique et de l’explosion sociale. Le plus grave, c’est que la scène politique est minée par les tendances contradictoires qui accélèrent ce processus de déchéance au lieu de chercher à l’éviter. Si l’on écarte les courants démocrates et progressistes, qui se sont illustrés jusque-là par l’infantilisme, le nombrilisme et la balkanisation, et qui n’ont aucune chance de se faire adouber par la population, deux tendances se caractérisent par leur volonté de changer radicalement le régime politique actuel par un autre qui mènera le pays vers un désastre annoncé.
Les ambitions du tandem Kaïs Saïed- Chiheb Mekki
Il y a, d’une part, le projet du président de la république Kaïs Saïed, celui de la démocratie de proximité dite encore démocratie participative. Et d’autre part, le projet de l’Etat islamique gouverné par la charia, prôné par la secte des Frères musulmans avec à leur tête leur gourou Rached Ghannouchi, président du mouvement Ennahdha et de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Malgré leur dénégation, les islamistes n’ont pas changé d’un iota et maintiennent le cap, dans le droit fil de la pensée du fondateur de leur mouvement, l’Egyptien Hassan El-Banna.
Le bras de fer actuel entre Kaïs Saïed et Rached Ghannouchi au sujet du dernier remaniement ministériel et la mise en place de la cour constitutionnelle, entre autres sujets de discorde, a pour toile de fond ce clivage que chacun d’eux cherche à résoudre en sa faveur, quitte à plonger le pays dans un chaos plus dramatique que celui qu’il traverse depuis dix ans.
Le projet islamiste a été traité amplement et nous vivons ses dramatiques manifestations, celui de Saïed demeure entouré de plusieurs zones d’ombre et d’alchimies complexes. C’est pourquoi, il serait opportun d’ouvrir cette boîte de Pandore et essayer découvrir ses secrets.
Ainsi a-t-il été jugé impérieux d’essayer de saisir les fondements conceptuels qui commandent à la mise en forme et aux articulations de projet de la gouvernance participative de Saïed. Car tout projet sociétal est le produit d’une pensée préalable qui le définit et qui en constitue le fil directeur. Occulter cette base théorique conduit à une compréhension tronquée du projet en question, et à une mauvaise appréciation de la manière avec laquelle on est amené à se comporter à son égard. Ainsi traitera-t-on dans cette contribution des fondements idéologiques de la démocratie participative de Saïed. Car cette construction sociétale n’est pas sortie aujourd’hui du néant, elle est le produit d’une synthèse de diverses pensées et d’expériences dont les origines datent du XIXe siècle.
Les fondements idéologiques de la démocratie participative selon Saïed
S’agissant du projet présidentiel, celui-ci serait plus le produit de Ridha Chiheb Mekki alias Ridha Lénine. En effet, bien avant que Saïed ne découvre en lui des ambitions politiques, Mekki a épousé, dès le début des années quatre-vingt, les thèses des conseillistes après avoir été un marxiste léniniste pur et dur, voire même un stalinien et un leader des Patriotes démocrates dans les années soixante-dix. Il a engagé en ces débuts des années quatre-vingt des débats autour du projet conseilliste dans une vaine tentative de réunir la gauche autour de ce projet. Même ses plus proches camarades ne l’ont pas suivi dans cette aventure, malgré le respect et l’admiration dont il était entouré.
La relecture de l’idéologie marxiste léniniste n’est pas du domaine de Saïed qui ne s’est illustré durant sa carrière que par la simple paraphrase des textes constitutionnels. Ainsi, peut-on dire que le projet de la démocratie de proximité, bien qu’adopté tardivement par lui, a émané des réflexions de Mekki. De par son parcours de militant de gauche et de surcroît de patriote démocrate, ce dernier ne pouvait se détacher de ses repères idéologiques de gauche pour définir le projet sociétal adopté par la suite par Saïed avant l’aventure présidentielle.
L’appareil qui était derrière la montée de Saïed a manœuvré ou cautionné le rapprochement de Saïed et de Ridha Lénine qu’une amitié liait déjà. Mekki faisait figure de révolutionnaire sincère et intègre, un profil qui pouvait séduire la jeunesse que la gauche n’a pu enrôler en son sein, les démunis, les soi-disant laissés-pour-compte des régions dites marginalisées ainsi que les «intellectuels» férus des discours savants et d’utopies et obnubilés par l’anti-système. Le corporatisme, l’intégrité, la droiture et la modestie ont joué pour Saïed. Selon certaines sources, la manipulation des réseaux créés sur le terrain par l’homme des médias Nizar Chaari, ainsi que les réseaux sociaux, dont le financement demeure un point d’interrogation, ont fait le reste.
Il ne faut surtout pas oublier l’électorat des Frères musulmans (Ennahdha et les voyous islamistes d’Al-Karama) qui s’est porté sur lui puisqu’ils n’avaient pas de candidat pouvant gagner les élections présidentielles et que le conservatisme de Saïed rapprochait. Et voilà Saïed propulsé président de la république.
Certes, Saïed se veut prophète porteur d’une nouvelle religion pour satisfaire sa mégalomanie et marquer son passage dans l’histoire, et Mekki se voulait depuis le tout début des années quatre- vingt, porteur d’une nouvelle théorie, et d’un nouveau modèle d’organisation politique et sociale autour desquels il avait voulu réunir la gauche. Mais à scruter le fin fond du montage du duo Saïed-Mekki, on constate qu’il n’est qu’une compilation de théories de gauche élaborées bien avant eux.
En effet, le montage de ce tandem ne serait qu’une ratatouille de mauvais goût dont les ingrédients sont la conception de Karl Marx de l’Etat communiste, la Commune de Paris, les Soviets d’avant la révolution russe de 1917, les thèses du conseillisme autour desquelles Ridha Lénine a voulu réunir la gauche depuis le tout début des années 80. On y trouve même des traces de l’organisation berbère où, comme l’a soutenu Ernest Renan, l’unité se situe dans le village.
Les diverses sources d’inspiration au montage du tandem Saïed-Mekki seront exposées successivement dans les cinq prochains articles comme suit :
1- La gouvernance participative selon le tandem Saïed et Mekki;
2- Les inspirations marxistes du système politique Saïed-Mekki;
3- Les inspirations communardes du système politique du tandem Saïed-Mekki;
4- L’influence des Soviets russes sur le système politique du tandem Saïed-Mekki;
5- Le conseillisme et le modèle du duo Saïed-Mekki.
A suivre…
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