Samuel Taylor Coleridge, l’un des premiers poètes romantiques anglais (avec William Wordsworth), également critique littéraire, est né le 21 octobre 1772 à Ottery Saint Mary dans le Devon, d’un père pasteur et maître d’école. Il décèdera à Highgate en 1834. «Il est le modèle de tous les Rimbaud à venir», dira Jacques Darras.
Cadet d’un famille de treize enfants, Coleridge se passionne, très jeune, pour la lecture : les contes de fées et les récits de voyage stimulent son imagination. Suite au décès de son père, il entre en pension à l’austère Christ’s Hospital, dédié aux orphelins. Puis à Jesus Collège, à l’université de Cambridge où il entre en 1791.C’est à cette époque qu’il compose ses premiers poèmes et en 1792, il obtient le prix de la meilleure ode grecque.
C’est également à cette époque qu’il commence à s’adonner à l’alcool et au Laudanum. La politique le passionne et il s’éprend des grands idéaux de la révolution française. Il abandonne ses études et quitte Cambridge sans diplôme.
En 1794, Coleridge se lie d’amitié avec le poète Robert Southey qui partage ses idées, et ensemble ils envisagent de fonder une communauté utopique bâtie sur les idéaux égalitaires de la révolution, qu’ils nomment Pantisocratie. C’est en Pennsylvanie qu’ils rêvent de l’établir mais ce projet ne verra finalement pas le jour.
En 1795, Coleridge donne des cours sur la Révolution français et se marie. Au bout de trois ans le désamour s’installe dans le couple; son mariage ne dure pas et se conclut par une séparation.
La même année il fait une rencontre cruciale pour l’évolution de son travail poétique, celle de William Wordsworth : une émulation réciproque et fructueuse se créé entre les deux poètes qui deviennent les précurseurs du mouvement romantique anglais.
Il tombe amoureux de Sara Hutchinson, la sœur de la future femme de William Wordsworth, mais cette passion non consommée fut contrariée par le cercle Wordsworth, les hésitations de Sara, le refus du divorce de sa femme et le caractère même de Coleridge. Il cessent de se fréquenter. Coleridge sombre alors dans une profonde dépression.
Le poète commence une collaboration avec le Morning Post dans lequel il publiera de nombreux poèmes pendant plusieurs années. En 1798, il publie avec Wordsworth, les Ballades lyriques, qui contient le célèbre poème La ballade du vieux marin.
Pour calmer ses rhumatismes et ses troubles névralgiques, les médecins de l’époque prescrivent à Coleridge de l’opium, substance dont il deviendra dépendant : l’un de ses poèmes, Kubla Khan, est d’ailleurs inspiré par un rêve dû à cette substance.
Avec son ami Wordsworth, il fait un voyage en Allemagne à l’automne 1798. Coleridge apprend la langue allemande en autodidacte. Il étudie la philosophie et s’intéresse aux écrits de Kant de Schlegel, Lessing et Schelling, et trouve de l’inspiration chez les premiers romantiques allemands ainsi que dans les légendes locales. De retour en Angleterre, il traduit le Wallenstein de Schiller.
Ce voyage a contribué à changer radicalement certaines de ses opinions, il devient fervent philosophe spirituel, royaliste, et est désormais un détracteur de la Révolution française.
Il s’installe avec Wordsworth dans le Nord de l’Angleterre dans le district des lacs, ce qui leur vaut avec Southey, l’appellation de Lake Poets ou lakistes.
Prenant peu à peu ses distance avec Wordsworth, sa poésie devient plus rare et plus fragmentaire.
Après un voyage de deux ans en Italie, il publiera dans la revue littéraire The Friend quelques articles traitant d’histoire, de morale ou de religion.
Coleridge s’installe ensuite à Londres et à Bristol où il connaît un franc succès en tant que conférencier. Ses conférences sur Shakespeare et Milton sont particulièrement appréciées.
En 1816, avec l’aide de Byron, il publie un recueil de poèmes où figurent Christabel, Les Souffrances du sommeil et Koubla Khan. Il publie également un autre recueil, Sibylline Leaves, ainsi que sa plus grande œuvre en prose, la Biographia Literaria. Mais victime de sa dépendance à l’opium, il doit séjourner chez le médecin James Gillman, à Highgate. C’est là qu’il décède, en 1834.
«Samuel Taylor Coleridge est le plus romantique de tous les poètes romantiques. Mélange d’émotions et de réflexion, d’enthousiasme et de doutes, il est la contradiction faite homme. Il aime passionnément la nature, dans sa version sauvage du Pays de Galles et des Lacs où il vit avec une parfaite sobriété écologique», écrira Jacques Darras. Evoquant sa vie d’errance et son accoutumance à l’opium, il verra en lui ce qu’il appelle «le modèle de tous les Rimbaud à venir.»
C’était un vieux marin ;
trois jeunes gens passaient, il en arrêta un.
— Par ta longue barbe grise et ton œil brillant,
pourquoi m’arrêtes-tu ?
La porte du marié est toute grande ouverte,
je suis son proche parent, les hôtes sont arrivés,
la noce est prête, n’en entends-tu pas le joyeux bruit ?
Le vieux marin serrait le bras du jeune homme
de sa main décharnée :
— Il y avait un vaisseau… dit-il.
— Lâche-moi, ôte ta main, drôle à barbe grise !
Et aussitôt la main tomba.
Le marin retint le jeune homme avec son œil brillant.
Le garçon de noce demeura tranquille
et écouta comme un enfant de trois ans.
C’était ce que voulait le marin.
Le garçon de noce s’assit sur une pierre
et ne put s’empêcher d’écouter ;
et ainsi parla le vieil homme,
le marin à l’œil brillant :
— Le navire retentissait de cris, le port était ouvert :
gaiement nous laissâmes derrière nous
l’église, la colline et la tour du fanal.
Le soleil parut à notre gauche, s’éleva de la mer,
brilla et vint à notre droite se coucher dans la mer.
De plus en plus haut, chaque jour, il monta dans le ciel,
jusqu’à ce qu’il planât directement sur les mâts à l’heure de midi.
— Ici le garçon de noce se frappa la poitrine,
car il entendait les profonds accords du basson.
La mariée était entrée dans la salle du banquet,
vermeille comme une rose,
et, tout en remuant la tête au son de la mesure,
la bande joyeuse des musiciens marchait devant elle.
Le garçon de noce se frappa la poitrine ;
mais il ne put s’empêcher d’écouter,
et ainsi continua le vieil homme,
le marin à l’œil brillant :
— Bientôt il s’éleva une tempête violente, irrésistible.
Elle nous battit à l’improviste de ses ailes
et nous chassa vers le sud.
Sous elle, le navire, avec ses mâts courbés et sa proue plongeante,
était comme un malheureux qu’on poursuit de cris et de coups,
et qui, foulant dans sa course l’ombre de son ennemi,
penche en avant la tête :
ainsi nous fuyions sous le mugissement de la tempête
et nous courions vers le sud.
Alors arrivèrent ensemble
tourbillons de brouillard et de neige,
et il fit un froid très vif.
Alors des blocs de glace hauts comme les mâts
et verts comme des émeraudes
flottèrent autour de nous.
Les interstices de ces masses flottantes
nous envoyaient un affreux éclat :
on ne voyait ni figures d’hommes, ni formes de bêtes.
La glace de tous côtés arrêtait la vue.
La glace était ici, la glace était là,
la glace était tout alentour.
Cela craquait, grondait, mugissait et hurlait,
comme les bruits que l’on entend
dans une défaillance.
Enfin passa un albatros :
il vint à travers le brouillard ;
et comme s’il eût été une âme chrétienne,
nous le saluâmes au nom de Dieu.
Nous lui donnâmes une nourriture
comme il n’en eut jamais.
Il vola autour de nous. Aussitôt la glace se fendit
avec un bruit de tonnerre,
et le timonier nous guida à travers les blocs.
Et un bon vent du sud souffla par derrière le navire.
L’albatros le suivit, et chaque jour,
soit pour manger, soit pour jouer,
il venait à l’appel du marin.
Durant neuf soirées,
au sein du brouillard ou des nuées,
il se percha sur les mâts ou sur les haubans,
et, durant toutes ces nuits,
un blanc clair de lune luisait
à travers la vapeur blanche du brouillard.
— Que Dieu te sauve, vieux marin,
des démons qui te tourmentent ainsi !
Pourquoi me regardes-tu si étrangement ?
— C’est qu’avec mon arbalète, je tuai l’albatros.
Traduction de A. Barbier
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