Quelques jours après que le président tunisien Kais Saied a gelé le Parlement et renforcé son pouvoir exécutif, des sources affirment que les investisseurs n’ont pas à s’inquiéter alors que les conversations avec le FMI continuent de progresser. Le coup de force politique, que certains qualifient d’«indispensable», n’aura pas d’impact sur la capacité de la Tunisie à assurer le service de sa dette.
Par Mariam Meskin
Les jours qui ont suivi le gel brutal du parlement par le président tunisien et la destitution du gouvernement ont suscité une réaction modérément volatile de la part des investisseurs.
Les obligations tunisiennes à 5,75% de janvier 2025 ont perdu près de cinq points dans la matinée du lundi 26 juillet 2021 pour se négocier à un peu moins de 85. Dans les jours qui ont suivi, les notes ont récupéré quelques pertes.
Bien que les acteurs du marché soient toujours divisés sur les perspectives de la situation politique et économique de la Tunisie, des sources proches de la Banque centrale tunisienne et du gouvernement sont là pour apaiser toute inquiétude.
«Nous savons que pour les investisseurs la principale préoccupation est la situation politique», a déclaré une source proche de la banque centrale. «Mais dans les prochains jours, la Tunisie sera en mesure de montrer un cadre politique plus clair et une capacité à exécuter et remplir ses engagements envers son peuple et ses investisseurs. Nous pensons que ce sera très positif pour le marché et pour les rendements.»
La Tunisie avait besoin d’un choc
«Il y a un consensus sur le fait que la Tunisie avait besoin d’un choc pour faire bouger le système, et cela est arrivé le 25 juillet. Toutes les institutions, y compris les syndicats et la société civile, sont convaincues que la démocratie n’est pas menacée. Il y a eu des discussions avec des partenaires du FMI et à travers l’Europe et les pays arabes; il y a maintenant une meilleure connaissance et compréhension de la situation politique», ajoute-t-on.
Des sources ont fait allusion au fait que de nouvelles nominations politiques pourraient être révélées en quelques jours, ce qui dissiperait les inquiétudes des investisseurs.
Selon certains, le coup de force politique a été déclenché par des protestations contre la baisse du niveau de vie et la stagnation de la croissance économique. Le déficit budgétaire s’est creusé passant de 3,5% en 2019 à 11,5% du PIB l’année dernière. Dans le même temps, le ratio dette/PIB du pays a bondi de 15 points de pourcentage à près de 90%.
Ashmore, qui a une exposition aux euro-obligations tunisiennes, a déclaré à GlobalCapital la semaine écoulée qu’il était nécessaire de clarifier la situation politique pour rassurer les investisseurs et sortir de la période d’instabilité.
La restructuration de la dette n’est pas nécessaire
Les craintes d’une restructuration de la dette circulent sur le marché depuis des mois, alors que les pays émergents du monde entier souffrent de la pandémie.
Plus tôt cette année, Capital Economics a déclaré qu’une détérioration des finances publiques à la suite de la pandémie et une capacité du gouvernement à instituer une austérité budgétaire rendaient une restructuration de la dette en Tunisie «de plus en plus probable dans les années à venir».
Des sources en Tunisie rejettent avec véhémence cette affirmation. «Nous n’avons aucun problème avec le service de notre dette. Nous sommes dans une situation confortable», a déclaré une source proche de la banque centrale. «Nous avons beaucoup de ressources importantes qui seront mobilisées par la trésorerie dans les prochains mois», ajoute la même source.
En juillet, les réserves de change de la Tunisie suffisent à couvrir 130 jours d’importations, n’ayant que légèrement baissé par rapport aux 160 jours d’importations du début de l’année. Des sources ont déclaré que la baisse était le résultat des règlements de dette.
La Tunisie a montré sa capacité à assurer le service de sa dette ces dernières semaines et devrait le démontrer encore plus dans les prochains jours.
En juillet, le gouvernement a remboursé une obligation de 506 millions de dollars qui avait été émise en juillet 2014 et garantie par l’USAID, l’Agence américaine pour le développement international. Cette obligation était cotée à un coupon de 2,542% et a été intégralement remboursée la semaine dernière.
Au cours de la première semaine d’août, il remboursera une autre obligation de 500 millions de dollars, ont confirmé des sources à GlobalCapital.
La restructuration de la dette n’est pas discutée à la banque centrale ou au gouvernement, selon des sources. L’idée n’est «même pas sur la table», dit-on.
«Nous ne discutons pas du tout de cette option. Nous sommes déterminés à rembourser tous nos engagements et nous n’observons aucune pression sur nos règlements dans un proche avenir», a déclaré la source. «La Tunisie est fière d’avoir toujours été en mesure ces dernières années, même en période d’incertitude politique, d’honorer ses engagements de dette envers les investisseurs et les institutions financières. C’est devenu une culture pour nous.»
Le stock de réserve est suffisant, dit-on, pour le faire passer jusqu’en 2021 et même 2022.
«Confiant» sur le financement du FMI
Certains acteurs du marché ont déclaré que ce que les opposants politiques de Saied ont qualifié de «coup d’État» était nécessaire pour déclencher une vague de changement en Tunisie, une vague de changement qui stimulerait la reprise économique.
«Ce changement était nécessaire. Le dernier gouvernement a montré qu’il était incompétent pour améliorer la situation économique du pays», a déclaré un banquier des marchés des capitaux de la dette. «En conséquence, la Tunisie a subi de nombreuses dégradations, ce qui a affecté sa position sur les marchés des capitaux», a-t-il ajouté.
Actuellement, la Tunisie est notée B3/BB+/B- par les principales agences de notation. Elle a été rétrogradée il y a quelques semaines par Fitch de B à B- pour refléter «des risques accrus de liquidité budgétaire et externe dans le contexte de nouveaux retards dans l’accord sur un nouveau programme avec le FMI». Mais ce qui devrait redonner confiance aux investisseurs, c’est que les discussions avec le FMI sur un montage financier de 4 milliards de dollars progressent, selon des sources impliquées dans les négociations.
«Nous sommes convaincus que nous aurons un accord avec le FMI avant la fin de l’année», a déclaré une source. Qui a ajouté: «Le marché international n’est pas une priorité pour nous en 2021, mais le programme du FMI l’est.»
«Nous n’aurons aucun problème avec cela. Nous avons également accès à des solutions de financement alternatives. Nous avons de bonnes relations avec la Banque mondiale et les institutions de financement multilatérales», explique la même source.
Le gouvernement et la banque centrale discutent d’un certain nombre de points avec le fonds, notamment la viabilité de la dette et le niveau d’endettement. Un autre facteur clé est le contrôle du niveau de la masse salariale dans le budget gonflé du gouvernement. Des sources ont déclaré que des progrès étaient réalisés vers ces objectifs.
L’objectif est que la Tunisie parvienne à un accord d’ici la fin de l’année, en vue d’en faire l’annonce début 2022.
Traduit de l’anglais par I. B.
Source : Global Capital. Les intertitres sont de la rédaction.
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