Les dirigeants d’Ennahdha et leurs alliés d’Al-Karama et Qalb Tounes, qui espéraient des pressions américaines sur le président de la république Kaïs Saïed pour l’obliger à revenir à la situation antérieure au 25 juillet 2021, en ont finalement eu pour leurs frais. Car l’administration Biden semble d’accord avec le chef de l’Etat sur la nécessité de mener des réformes constitutionnelles et électorales en Tunisie, l’ancien système ayant été, de leur point de vue aussi, balayé par l’expression populaire. Washington soutient donc Saied, tout en le pressant d’accélérer la cadence des réformes envisagées.
Par Ridha Kéfi
C’est ce qui ressort de la déclaration faite par Emily Horne, porte-parole du NSC (Conseil national de sécurité), hier, vendredi 13 août 2021, à l’issue de la rencontre du conseiller principal adjoint à la sécurité nationale, Jon Finer, et du secrétaire d’État adjoint par intérim aux Affaires du Proche-Orient, Joey Hood, avec le président Saïed.
Tout en réitérant le soutien personnel du président Biden et de son administration au peuple tunisien et en rappelant au président Saïed la nécessité d’«un retour rapide sur la voie de la démocratie parlementaire tunisienne», et ce en désignant en urgence un «Premier ministre» (et non un chef de gouvernement adoubé par une Assemblée, précision de taille dans le contexte tunisien), «qui formerait un gouvernement capable de faire face aux crises économiques et sanitaires immédiates auxquelles la Tunisie est confrontée», étant admis qu’un nouveau gouvernement aiderait aussi à «stabiliser l’économie» et à «créer un espace pour un dialogue inclusif sur les propositions de réformes constitutionnelles et électorales en réponse aux demandes largement exprimées par de nombreux Tunisiens pour une amélioration du niveau de vie ainsi qu’une gouvernance honnête, efficace et transparente.»
Une page est tournée
Là, le soutien américain à la démarche (qualifions-la de «réformiste») de Saïed est on ne peut plus clairement exprimée : Washington n’est pas loin de considérer que l’Assemblée gelée par les décisions du 25 juillet n’est plus représentative et que la Constitution de 2014 est même devenue obsolète, voire nulle et non avenue, et que le système politique dans son ensemble doit être réformé dans le sens d’«une gouvernance honnête, efficace et transparente.» Ce qui signifie, par ricochet, que la gouvernance qui existait avant le 25 juillet n’était ni honnête, ni efficace ni transparente.
Par ailleurs, le fait que le conseiller principal adjoint à la sécurité nationale n’ait pas jugé nécessaire de rencontrer le président de l’Assemblée Rached Ghannouchi (malgré ses énormes dépenses en lobbying politique et médiatique aux Etats-Unis) et encore moins des représentants des partis est en soi un message claire que Washington considère qu’une page a été tournée en Tunisie et qu’il faut penser à l’avenir, en s’attaquant aux urgences, à savoir la santé, l’économie et les réformes institutionnelles.
Les responsables américains, qui ont rencontré des dirigeants de la société civile et «exprimé le soutien des États-Unis à la participation active de la société civile à la construction d’un avenir démocratique et prospère pour tous les Tunisiens», sont à l’évidence dans la perspective de l’après-25 juillet et voudraient s’assurer que cet après, qu’ils appellent de leurs vœux, sera respectueux des règles démocratiques.
Un essai qui reste à transformer
Tout cela pour dire que la balle est désormais dans le camp de Kaïs Saïed. Le président de la république a bien marqué un essai, comme disent les rugbymen, et il lui reste à le transformer, mais c’est là une autre paire de manche. Car le temps est court, les tâches sont immenses et il aura contre lui non seulement Ennahdha et ses alliés, mais aussi tout le système d’avant, qui ne lâchera pas prise facilement.
Ne commence-t-on pas d’ailleurs à observer des rapprochements de circonstance et d’intérêt entre les islamistes d’une part, et d’autre part, leurs relais dans le milieu des affaires et dans l’administration publique pour essayer de faire capoter la «deuxième révolution», aujourd’hui incarnée par Kaïs Saïed et son assise populaire ?
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