Une délégation américaine composée par le conseiller principal adjoint à la sécurité nationale à la Maison blanche et le secrétaire d’Etat adjoint par intérim aux affaires au Proche Orient, s’est rendue, vendredi 13 août 2021, au palais de Carthage, et s’est entretenue avec le président de la république, Kaïs Saïed. Voilà que les Américains s’intéressent à la Tunisie après le 25 juillet 2021, jour où le cracher a balayé les Frères musulmans, les Frères voyous d’Al-Karama et les Frères Dalton de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), dont le chef de l’Etat a mis ses clefs dans sa poche.
Par Mounir Chebil *
Les responsables états-uniens sont venus en Tunisie après une campagne médiatique menée par Ennahdha aux Etats-Unis par l’intermédiaire d’une société de lobbying. Les islamo-fascistes se plaignent d’avoir été victimes d’un coup d’Etat et de transgression des règles de la démocratie dans notre pays. Les bourreaux sont devenus victimes!
En langage diplomatique, la délégation a exprimé le soutien du président Biden au peuple tunisien. Ce soutien s’étendrait-il au président Kaïs Saïed? Elle a aussi émis le souhait que le président de la république observe un retour rapide sur la voie de la démocratie parlementaire et nomme un Premier ministre qui formerait un gouvernement capable de faire sortir le pays de sa crise. Entre parenthèses, je leur dirais que les jeunes ayant aidé M. Saied dans sa campagne électorale feront l’affaire.
Les affinité électives entre les stratèges américains et les islamistes tunisiens
Malgré mon âge avancé, et ne divulguez pas cette information, qui sait, je ne suis pas atteint de la maladie d’Alzheimer. Je me rappelle donc que dans les années 2000, les Américains ont conseillé Ben Ali de suivre le chemin de la démocratie et de l’ouverture politique. Mais ils n’ont pas trouvé Ben Ali réceptif à leur conseil. Alors, ils ont décidé de gaver les Tunisiens de démocratie. En 2011, ils nous ont fourgué l’islamo-fascisme pour nous plonger dans un «printemps» démocratique.
Pendant 11 ans, ils n’ont pas adressé la moindre remontrance au parti Ennahdha ni pour le terrorisme qu’il a couvé, ni pour la violence qu’il a parrainée, ni pour les tentatives de putsch qu’il a fomentées. Même au lendemain de l’attaque de l’ambassade US à Tunis par des extrémistes religieux lâchés par le chef du gouvernement Hamadi Jebali et le ministre de l’Intérieur Ali Larayedh, tous deux islamistes, en septembre 2012, leur indignation était presque inaudible.
Au contraire, à une certaine période où on a eu besoin des services des islamistes tunisiens pour embrigader des égorgeurs et les envoyer en Syrie, Ennahdha était le chouchou de Washington, d’Ankara et l’enfant gâté de Doha. Jusqu’à une date récente, Rached Ghannouchi avait des contacts réguliers avec les officiels américains, à Washington et à Tunis, plus réguliers en tout cas que ceux du président de la république ou du ministre des Affaires étrangères. Le siège d’Ennahdha au quartier de Monplaisir était presque devenu une aile de l’ambassade américaine à Tunis. Et l’ambassadeur américain multipliait les visites à la demeure de «tonton Rchouda», à Riyadh Al-Andalous, tellement il appréciait les gourmandises servis chez le chef islamiste.
En langage diplomatique, la partie immergée de l’iceberg est plus importante que sa face apparente. Donc, on pourrait conclure qu’en appelant au retour de la démocratie parlementaire et à l’instauration d’un espace de dialogue, nos donneurs de leçons américains ont plaidé pour l’ouverture d’une lucarne permettant aux islamo fascistes de se faufiler de nouveau au centre de la scène politique, réintégrer le parlement et reprendre leur manège morbide.
Pourquoi les Américains veulent-ils nous imposer le système parlementaire?
Le dialogue portera sur la démocratie parlementaire et non sur un autre système, le leur par exemple, qui est présidentiel. Faut-il comprendre que la démocratie de proximité ou participative de Kaïs Saïed n’est pas du goût des Américains? Ainsi, cette délégation envoyée par Biden ne serait pas venue pour soutenir Kaïs Saïed mais plutôt pour lui exprimer que, pour le moment, la Maison Blanche le tolère et le ménage, mais qu’elle garde l’œil sur lui.
Certes, cette délégation n’a pas fait le détour du côté de Monplaisir ou de Riyadh Al-Andalous. Cela ne voudrait pas dire que, du point de vue des Américains, les Frères musulmans tunisiens sont tombés définitivement en disgrâce. Ces derniers demeureront toujours les amis de Washington. Ils ont prouvé qu’ils étaient les meilleurs alliés pour conduire les opérations de déstabilisation des Etats ennemis des Etats-Unis. Traduire: ceux qui sont réfractaires à toute normalisation avec Israël.
L’«automne arabe», parlons-en: ses stratèges, c’étaient les américains, et ses exécutants, les Frères musulmans et leurs succursales dans la région. Cette «négligence» apparente vis-à-vis des Nahdhaouis ne serait que l’expression d’un mécontentement passager pour les inciter à faire montre de davantage de servilité et de zèle. Washington estime être en droit d’attendre davantage de ses alliés stratégiques dans la région.
Les Américains, ces apôtres de la démocratie (on les a vus à l’œuvre en Amérique Latine, en Afghanistan, en Irak et ailleurs), sont inquiets pour le sort de la démocratie dans notre pays. Ils sont tellement inquiets qu’ils ne prennent pas pour argent comptant les assurances présentées par le président Saïed sur l’état des libertés et des droits en Tunisie.
Heureusement que ces Américains nous aiment et veillent sur nous. Nous pouvons dormir sur nos deux oreilles! Vais-je mordre moi aussi à cet hameçon sachant, de science sûre, que les membres de la délégation américaine sont des plus farouches opposants au coup de pied dans la fourmilière du président Saïed ?
Attention, on nous prépare un nouvel «automne musulman» !
Malheureusement pour moi, je garde une mémoire d’éléphant et cela me fatigue parfois. Devant la surdité de Ben Ali, je me rappelle que la Maison Blanche s’était rabattue sur ce qu’on appelle des représentants de la société civile, des opposants démocrates et des internautes… En effet, à cette époque, des blogueurs tunisiens ont suivi des stages de formation de cyber-dissidents parrainés par le National Edowment for Démocratie (NED) rattaché à la CIA. Cette formation se basait entre autres sur la théorie de Gene Charp sur la révolution sans violence et pour qui la révolution se fait sur internet en tant qu’outil efficace d’alerte et de mobilisation.
Prenant le relais, le Qatar créa l’Académy for Change de Doha qui distribua des bourses et organisa des cessions de formation portant sur la «démocratie par le web» en plus de l’organisation du Forum for Democratie or Restored Democratie. Mohsen Marzouk, le président de Machrou Tounes, en connaît quelque chose et pourra témoigner.
Enfin le groupe Anonymos, formé de résistants hackers , avait lancé, le 2 janvier 2011, l’opération Tunisia agissant directement à partir des Etats Unis**. Des relais ont été établis avec les opposants démocrates, l’UGTT, l’armée et le ministère de l’Intérieur… pour arriver au coup d’Etat du 14 janvier 2011, qui a abouti à mettre sur orbite les Frères musulmans d’Ennahdha, qui étaient en exil, en prison ou en résidence surveillée.
Donc, la rencontre de la délégation américaine avec le panier à crabes des associations «démocrates» et «droits-de-l’hommistes» porterait un message des plus révélateurs à Kaïs Saïed : ils ne leur ont pas vanté les mérites du président, mais ont été très attentifs aux critiques qui lui étaient adressées, de manière à en garnir leur rapport de mission.
Je ne suis ni diplomate ni analyste spécialiste de relations internationales, mais en tant qu’humble citoyen, je crois qu’il ne faudrait pas être trop optimiste quant aux retombées de cette visite. Au-delà des déclarations officielles, il faudrait plutôt scruter avec minutie la face cachée de l’iceberg. La Maison Blanche, qui a délivré Kaboul aux Talibans ce 15 août, ne peut être vraiment soucieux de la démocratie en Tunisie. Ses intérêts priment sur tout. Mais cela, on ne le sait que trop: les Américains, pas plus que les Européens ou même nos militants des droits de l’homme (trop naïfs et trop mous par vocation), ne mèneront pas à notre place le combat contre l’intégrisme religieux qui a tant fait de mal à notre pays.
* Haut fonctionnaire à la retraite.
** Nicolas Beau, Jacques- Marie Bouget, »Le petit Qatar, cet ami qui nous veut du mal », Fayard, avril 2013, p. 235.
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