Kais Saied est aujourd’hui une sorte d’assurance-vie pour la Tunisie et les Tunisiens, car l’idée même qu’il puisse mourir, accidentellement, assassiné ou de mort naturelle, qui plus est, au milieu du chantier qu’il a ouvert par son coup de force constitutionnel du 25 juillet 2021, a de quoi nous donner des sueurs froides. Car on imagine mal, dans le vide institutionnel et politique qui serait ainsi créé, ce qui adviendrait de notre pays, déjà au bord de la rupture.
Par Ridha Kéfi
L’idée d’une mort possible du chef de l’Etat, c’est lui-même qui est en train de nous y habituer : il l’a évoquée encore une fois hier, vendredi 20 août, lors d’une réunion au Palais de Carthage, en faisant allusion à un projet d’assassinat dont il ferait l’objet et en laissant entendre que ce sont ses adversaires islamistes (Ennahdha ou ses nombreuses excroissances) qui en seraient les instigateurs.
On ne sait pas si le président de la république se base dans ses affirmations sur des informations émanant des services secrets, tunisiens ou étrangers, ou s’il exprime seulement des craintes légitimes, sachant que la liquidation physique des adversaires politiques est l’une des méthodes d’action que ne renient pas les islamistes, même ceux d’entre eux qui prétendent être modérés et pacifistes, car des islamistes modérés et pacifistes, on n’en a pas encore rencontrés, n’en déplaise aux Américains et aux Européens qui continuent de nous rebattre les oreilles avec cette fable.
La protection du président doit être renforcée
Quoi qu’il en soit, les propos récurrents du président sur son possible assassinat sont assez graves pour susciter plus que de simples inquiétudes. Car si des informations sur un projet d’assassinat du président de la république sont parvenues aux services concernés par la sécurité nationale, des enquêtes, policière et judiciaire, devraient être diligentées d’urgence pour démasquer les éventuels instigateurs et/ou auteurs et les mettre hors d’état de nuire.
Par ailleurs, si le président craint vraiment pour sa vie, comme il ne cesse de nous dire, alors qu’il est la personne la mieux protégée dans en Tunisie, cela devrait, normalement, amener les unités chargées de sa sécurité à redoubler de vigilance, à revoir le dispositif sécuritaire mis en place autour du Palais de Carthage et, surtout, à limiter au strict minimum ses déplacements, ses contacts avec les citoyens et ses bains de foules, sachant qu’il affectionne ce genre d’exercice, qui lui permet de se sentir en symbiose avec ses administrés, et ne semble pas disposé à s’en priver.
L’angoisse partagée par onze millions de Tunisiens
Pour ne rien arranger, depuis le 25 juillet et sa prise en main de tous les rênes du pouvoir exécutif, il ne se passe pas un jour sans que Kais Saied fasse un déplacement, et souvent dans des quartiers populaires à forte densité démographique (Manouba, cité Helal, Fouchana, Mnihla…), et cela, on l’imagine, n’est pas sans risque…
Alors, monsieur le président, de grâce, faites de votre mieux pour nous épargner les sueurs froides. Faites la lumière une fois pour toute sur les projets d’assassinat dont vous feriez l’objet, identifiez leurs instigateurs et faites-les juger ! Ou réduisez vos déplacements pour ne pas fournir à vos adversaires des occasions pour attenter à votre vie ! Ou mieux encore, clarifiez la situation institutionnelle (pour ne pas dire constitutionnelle, car il ne semble disposé à revenir à la Constitution de 2014), de manière à dissiper l’angoisse partagée par onze millions de Tunisiens face à l’hypothèse d’une vacance du pouvoir. Un spécialiste de droit constitutionnel doublé d’un fervent croyant ne saurait perdre de vue une telle hypothèse.
Pour notre part, nous nous gardons de lui demander une «feuille de route», car cette expression semble l’énerver, mais nous ne pouvons omettre d’exiger des clarifications sur ses projets immédiats. Car il y va de notre avenir et de celui de nos enfants.
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